1946, témoignage : Pierre Rostini

Colombet Rostini Laisney photo grenoble 46

Une commission du congrès, on reconnaît Colombet (barbu), à sa gauche Laisney puis Pierre Rostini

[1] Témoignage au colloque du GERME « La Charte de Grenoble, naissance d’un syndicalisme étudiant », Paris, 20 mai 1995. Publié dans Les Cahiers du GERME, spécial N° 1, mars 1996.

LA TRANSITION

C’est moi qui étais secrétaire général de l’Union patriotique des organisations étudiantes. Je sais donc comment l’UPOE a fonctionné. D’autre part c’est moi qui étais président du comité préparatoire international que nous avons crée à Prague au moment du congrès mondial des étudiants du 17 novembre 1945. Pendant la guerre on avait décidé que le premier congrès d’étudiants devait avoir lieu à Prague un 17 novembre car les Allemands, le 17 novembre 1939 avaient détruit l’université de Prague, avaient fusillé les dirigeants de l’Union nationale des étudiants tchécoslovaque qui faisait partie, comme l’UNEF de la CIE, Confédération internationale des étudiants. La CIE n’a pas joué de rôle pendant la guerre.

Il y a quelque chose qui n’a peut-être pas été suffisamment dite, c’est la création du Service national des étudiants par Vichy. Parce que c’était exactement contre les AG. Par exemple, j’étais en 1943 président de l’AG d’Aix. Le fameux statut type, nous ne l’avions jamais vu, jamais appliqué. Mais le Ministère de l’éducation avait crée à Aix, contre l’AG, une section locale du SNE, qui recevait tout, qui représentait les étudiants partout.

A la Libération, je ne crois pas qu’il ait été question à un moment ou à un autre de dissoudre l’UNEF. D’abord je ne vois pas pourquoi il y aurait eu une dissolution de l’UNEF. C’est moi qui me trouvais à Paris pendant cette période. Nous avons fait un congrès en novembre 1944 au cours duquel nous avons renouvelé le bureau de l’UNEF, nous avons même eu une commission d’épuration qui a épuré trois personnes, le président de l’AGE de Lyon, le président de l’AG de Toulouse et un président de la section coloniale (mais lui c’est tout a fait autre chose, on l’a épuré et puis on l’a gardé. Il était arrivé par hasard dans cette fonction, il ne savait plus où il en était.) Ceci étant, l’UNEF a toujours été reçue à partir de ce moment là, dès le lendemain de la Libération, par tous les ministres, quels qu’il soient, puis ensuite par le ministre qui nous intéressait le plus qui était Capitant. C’est vrai qu’il y avait une Union des étudiants patriotes qui s’était constituée avec les sections étudiantes des mouvements de libération. Dans cette Union des étudiants patriotes il y avait aussi le représentant des étudiants communistes qui n’était pas

Commission vie de l'étudiant

Commission vie de l’étudiant du congrès présidée par Pierre Rostini.

encore l’UJRF à l’époque. C’était Pierre Kast leur représentant, ce n’était pas Annie Kriegel. Ensuite nous avons fait l’UPOE. Elle a été constituée par l’UNEF et par l’ensemble des mouvements de résistance, sauf les socialistes qui s’étaient mis eux un peu à part. A l’UPOE, j’étais secrétaire général, j’avais un adjoint politique, Manuel Bridier, qui représentait le Front national, et d’un adjoint «confessionnel», Launay, qui représentait la Fédération française des étudiants catholiques. Au sein de l’UPOE on examinait tous les problèmes globaux qui se posaient pour le mouvement étudiant au lendemain de la guerre. Puis après c’est vrai que l’UPOE a disparu parce que les sections des mouvements politiques ou des mouvements de résistance n’ont plus joué aucun rôle dans le mouvement, sur le plan des oeuvres universitaires notamment, dans toute une série de domaines, et l’UNEF est redevenue, petit à petit, ce qu’elle était. Pierre Trouvat disait que je «noyais le poisson» (il dit cela dans un article qu’il a publié dans Le Semeur). En vérité Trouvat n’était pas là. Il ne savait pas que petit à petit l’UNEF avait été remise en place dans tous les organismes où elle jouait un rôle avant-guerre. Même dans la Confédération des travailleurs intellectuels.. On m’a appelé un jour en me disant «tu es vice-président de la CTI». J’ai découvert la CTI lorsqu’on m’a expliqué en novembre 1944 qu’il fallait que l’UNEF reprenne sa place dans la CTI dont elle avait été éliminée. Je ne savais même pas ce que c’était que la CTI. J’étais à l’Union nationale des intellectuels, qui était, elle, issue de la Résistance. Au lendemain de la Libération, la CTI s’est retrouvée en concurrence avec l’Union nationale des intellectuels qui fédérait exactement les mêmes catégories de travailleurs intellectuels

Très honnêtement je ne me suis pas rendu compte d’une influence doctrinale, de pensée, d’orientation, de la CTI sur l’UNEF. Je ne crois pas qu’il y en ait eu à un moment ou à un autre. Les quelques présidents que j’ai connus de l’UNEF d’avant guerre, par exemple Claude Delorme ou Gaston Anteby n’ont jamais fait état d’une influence de la CTI. La seule chose que l’on peut dire, c’est que Rosier était l’animateur de la CTI dans les années Jean Zay.

En ce qui concerne les «délégués Capitant», il y avait un grand projet de représentation du mouvement étudiant qui partait des facultés. Il s’agissait d’élire des représentants de facultés, élire des représentants d’académie qui devaient élire un président général des étudiants. Le projet de président des étudiants par faculté était un projet qui avait été essentiellement préparé par les amis de Pierre Kast et les représentants des étudiants catholiques. C’était un gros projet. Il s’est réduit aux délégués Capitant que j’ai défendu moi-même au Conseil d’Etat. Capitant n’avait aucune idée précise. Il a fini par accepter que dans chaque conseil d’université, il y aurait des étudiants élus. Alors je suis allé au Conseil d’Etat, voir Monsieur Huysmans qui était le rapporteur de ce projet. J’ai discuté pendant une heure avec lui, et le projet a été ainsi adopté. Voilà les délégués Capitant. Malheureusement les étudiants ne votaient pas beaucoup.

On a discuté des jours et des jours de toutes ces choses là, parce qu’en fin de compte tous les problèmes étudiants sont crées par les dirigeants étudiants. Il ne faut pas croire que la masse des étudiants s’intéressait à tout ça. Ce que nous avons essayé de faire tout de suite après la Libération, c’est parce qu’on se trouvait devant beaucoup de problèmes qui intéressaient directement la vie des étudiants. Il y avait d’abord ceux qui rentraient des camps de concentration, des camps de prisonniers. Il y avait ceux qui avaient été militaires. Il fallait s’occuper des étudiants pour la Fondation sanatorium des étudiants de France, il fallait faire marcher les restaurants universitaires, c’était ça le premier des problèmes auxquels nous nous sommes heurtés. Et justement, je me souviens un jour d’avoir fait adresser une question écrite au Ministre de l’éducation nationale, dont le directeur de Cabinet était notre ami Rosier, sur ces problèmes là, parce que nous estimions que ça n’avançait pas. Ca veut dire que petit à petit, tout naturellement, l’UNEF s’est mise à jouer son rôle de gestionnaire qu’elle avait avant-guerre. Puis il y a eu la réflexion, en partant essentiellement de l’AG de Lyon et de toute une série de jeunes qui sont entrés dans l’UNEF à partir de la Libération, sur la signification du syndicalisme étudiant, etc. Je vais un peu vite dans mon résumé des choses, mais ça s’est passé un peu comme ça dans l’ensemble.

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