Georges Mathieu, La Sorbonne en guerre, 1940-1944, Paris, L’Harmattan, 2011, 275 p .
« La Sorbonne en guerre, 1940-1944 », tel est le titre donné à un journal posthume écrit par un professeur de la Sorbonne. Il s’agit de notes personnelles au fil des jours, reprises et rédigées en 1946, peu avant sa mort par Georges Mathieu, professeur d’éloquence grecque à la Sorbonne, découvertes et publiées par son fils. On n’y trouve ni révélations ni hauts faits, d’autant que l’auteur, de santé fragile, n’est en contact qu’avec un petit groupe d’étudiants hellénistes, se tient sur la réserve et n’est pas au centre des relations entre professeurs. On y lit pourtant la réouverture précoce de la Sorbonne dès juillet 1940 par le recteur Roussy, pour éviter l’occupation des locaux par les Allemands, même si les cours proprement dits ne reprennent qu’en octobre. Autre notation : « Lundi 11 novembre 1940. Je suis passé à la Sorbonne, bien que n’ayant pas cours. Tout le quartier est d’un calme parfait ». Vient en décembre l’application des mesures vichystes d’exclusion contre les professeurs juifs de la faculté : l’assemblée de faculté admet, à la majorité, de proposer des remplaçants à ceux-ci, ce qui revient à entériner la mesure. Chargé en 1941 par le doyen de « filtrer » les étudiants juifs dont l’effectif est plafonné à 3% de l’ensemble, G.Mathieu constate, qu’il y a plus de places disponibles que de candidats, ce qui sera encore plus vrai les années suivantes, le nombre des étudiants juifs ne cessant de diminuer. Ces notations sont précieuses pour nous donner l’atmosphère de la Sorbonne en ces années, sur fond de restrictions : petites intrigues et mesquineries des collègues, incluant les dénonciations auprès des autorités. Révocations et arrestations se succèdent ; les collaborateurs avéré sont rares, mais cinq professeurs auront comparu à la Libération devant la Commission d’enquête. Il est aussi de clairs refus: la chaire d’histoire du judaïsme inventée par le ministre Abel Bonnard pour Labroue est unanimement refusée par l’assemblée des professeurs, ce qui n’empêche pas Bonnard de passer outre, avec les chahuts d’étudiants que l’on sait, qui mettent fin à l’expérience. Chez les étudiants précisément, la collaboration semble totalement absente, mais G. Mathieu est réservé envers ceux du Centre d’entraide aux prisonniers et à la rue Soufflot, trop proche de Vichy; il préfère ceux des groupes d’études « qui ont su préserver leur autonomie ». Une chronique précieuse.
Alain Monchablon