lecture: Gérard Filoche, 68-98 histoire sans fin, Thierry Jonquet, Rouge c’est la vie

Gérard Filoche  68-98 histoire sans fin Flammarion 1998. – Thierry Jonquet Rouge c’est la vie Seuil 1998

Pour le 30ème anniversaire de mai 68, voici deux ouvrages autobiographiques. Si je les traite ensemble, c’est que les auteurs présentent des points communs : ils ont été militants d’extrême-gauche, membres de la Ligue communiste (devenue LCR après 1974) et militants actifs des mouvements étudiant et lycéen des années soixante et soixante-dix. L’intérêt du traitement commun tient surtout à ce qu’ils révèlent – malgré la faible différence d’âge (quelques années à peine) – de la rapide rotation des générations lycéennes et étudiantes. En effet, l’un (Filoche) s’engage bien avant mai 68, milite à l’UEC et au PCF, s’en fait exclure et adhère à la JCR. Il sera un des responsables jeunes et étudiants de la LCR. C’est après mai 68 que Thierry Jonquet, lycéen, s’engage d’abord à Lutte Ouvrière puis à la LCR en 1972. Il est, en tant que lycéen puis étudiant, un militant de base.  Filoche est aujourd’hui au parti socialiste, Jonquet est écrivain connu de romans policiers (ce qui lui vaut une certaine célébrité). L’engagement de ces deux personnages s’exprime également professionnellement : l’un est inspecteur du travail (ce qui lui vaut sa célébrité), l’autre demeure (j’oserai dire dans l’âme) un travailleur social. Le livre de Gérard Filoche est une autobiographie « sérieuse » (et, comme beaucoup d’autobiographies, souvent auto-justificatrices, avec des omissions significatives et des « re-constructions »), alors que le livre de Jonquet est un roman et n’a donc pas la même prétention à « l’objectivité » puisque ce sont des personnages qui sont mis en scène (même si l’on sait de qui il s’agit, à savoir de l’auteur). La lecture des deux livres donne un « regard croisé » sur des mêmes évènements, « d’en bas » et « d’en haut ». Jonquet voit mai 68 à partir de son lycée, de la presse, de la manière dont réagissent ses amis, sa bande de copains. Puis, ce sont les grèves lycéennes et étudiantes, les rencontres. Il exprime parfaitement une certaine forme de révolte et de politisation « politico-culturelle » qui fut celle de jeunes venus au militantisme à l’occasion de mai 68 avec une forte dimension anti-autoritaire, musicale. Filoche, comme beaucoup d’autres étudiants venus à la politique avant 68 et issus des organisations « traditionnelles », notamment du PCF et de l’UEC, baigne beaucoup plus dans une culture politique « classique ». Il narre mai 68 et l’UNEF à Rouen. Débats, polémiques, organisation, confrontations dures entre courants du mouvement étudiant, y compris au sein de la même organisation (et notamment débat sur l’orientation de la JCR puis de la LC vis à vis de l’UNEF). Je témoigne d’ailleurs que cette différence de comportements était visible au sein d’une même organisation. J’ai le souvenir d’un « stage jeunes » de la LCR commun aux lycéens et étudiants en 1976 où le secteur lycéen (dont j’étais) avait failli quitter le stage car notre manière de fonctionner et débattre était beaucoup plus « fraternelle » alors que nous assistions (assez « terrorrisés ») à des débats très durs chez les dirigeants étudiants, qui avaient a voir également avec ce qui nous apparaissait comme « combat de coqs ». Sans aucun doute, pesait autant la différence « micro-générationnelle » que les contextes de militantisme différents. La solidarité entre lycéens, y compris entre groupes concurrents,était plus forte car les lieux de « travail » étaient plus petits, avec une assiduité obligatoire du matin au soir et l’administration plus autoritaire nous soudait dans ce qui apparaissait comme le combat commun prioritaire (« l’ennemi » c’était elle, et non le groupe rival). Chez les étudiants, le lien entre les militants et le milieu est plus lâche, surtout à l’époque : grandes universités avec des milliers au moins d’étudiants, administrations aux pouvoirs disciplinaires bien moins grands, et moins pesante. Et puis, pour les organisations d’extrême-gauche, les étudiants (de par la place politique qu’ils occupaient pour ces organisations renforcées et refondées par mai 68) représentaient un enjeu plus important que les lycéens. Les relations entre étudiants de diverses organisations étaient beaucoup plus suivies par les directions politiques, alors que les lycéens jouissaient d’une certaine « paix ».

Ce sont en tous cas deux témoignages à lire en tant que tels.

Robi Morder

Les Cahiers du Germe trimestriel, n° 10, 1999

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