lecture : Didier Fischer, Contribution à une histoire socio-culturelle et politique du milieu étudiant.

Soutenance de thèse. Le 18 décembre 1998, Didier FISCHER a obtenu devant un jury présidé par René REMOND, et composé outre de Jean-Jacques BECKER, son directeur de thèse, de Gilles LE BEGUEC, Philippe LEVILLAIN, Christophe POURCHASSON, et Jean-François SIRINELLI, le titre de Docteur d’Etat avec mention très honorable et félicitations du jury. Dans la salle des thèses de Nanterre, des amis, des anciens (dont Pierre ROSTINI, Président de l’AAUNEF) et, bien entendu, nous étions plusieurs du GERME présents pour soutenir dans sa soutenance notre ami. Qu’il reçoive ici également nos félicitations et, en attendant de pouvoir à notre tour lire les 800 pages, et continuer les discussions autour des questions soulevées ce vendredi matin (et d’autres questions) nous publions ici le texte de l’introduction de la soutenance.

(texte publié dans Les Cahiers du Germe trimestriel n° 9, 1998;

Didier FISCHER LES ETUDIANTS EN FRANCE (1945-1968). Contribution à une histoire socio-culturelle et politique du milieu étudiant.

Mes lectures, mes amitiés, ma vie sentimentale et familiale, mes engagements de jeunesse m’ont conduit à m’intéresser aux étudiants, au point de décider au début des années quatre-vingt-dix d’entreprendre une thèse sur ce sujet.

Un coup d’oeil rapide sur l’historiographie étudiante acheva de me convaincre. En effet, les étudiants n’avaient guère suscité l’intérêt des historiens. Peu de travaux d’envergure existaient encore.

Ce manque de considération ne peut qu’étonner, puisque nombreux sont ceux qui à l’instar de Maurice Agulhon, dans sa préface au bel ouvrage de Jean-Claude Caron sur les étudiants parisiens entre 1814 et 1848, Générations romantiques, s’accordent à dire qu’ils ont tenu un rôle de premier plan dans l’histoire de notre pays, qu’ils ont même inspiré quelques uns de nos plus grands romanciers tels que Balzac, Flaubert, Hugo, ou Vallès. Les difficultés méthodologiques que suscite l ’approche d’un milieu difficilement réductible à quelques idées générales peuvent-elles expliquer ce manque d’intérêt ? A l’époque de l’héritage de l’école des Annales, de l’histoire des mentalités, du renouveau de l’histoire politique, cela nous paraît fort peu vraisemblable. En fait, ne faut-il pas mieux penser que ce sont les étudiants eux-mêmes qui n’ont pas cru à leur histoire ? Les organisations étudiantes ne se sont préoccupées que tardivement et encore de manière lacunaire de constituer et de préserver ensuite leurs archives. Cela est a mettre en parallèle avec le statut même de l’étudiant dans notre société : être étudiant n’est qu’un état transitoire. Et la transition n’incite guère à la conservation. Il faut donc attendre les années 1950 pour voir une organisation comme l’UNEF se soucier de ses archives. 1946, n’est pas seulement la naissance d’un syndicalisme étudiant mais aussi la constitution d’une mémoire qui vise à intégrer l’étudiant à la nation. Dans ces conditions est-il étonnant que ceux qui auraient pu s’intéresser à leur histoire, les étudiants eux-mêmes, aient choisi d’autres sujets de recherche ?

En revanche, aujourd’hui, il n’est pas interdit de penser que les étudiants ont un bel avenir historiographique. Un mouvement se dessine depuis la fin des années 1980 en relation avec les nouvelles approches de l’histoire culturelle et politique. Les études prosopographiques font aussi de plus en plus la part belle au monde étudiant. Signe des temps, le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier a décidé d’ouvrir sa prochaine livraison aux militants étudiants. Nous pouvons néanmoins remarquer que l’approche des étudiants pour ce qu’ils sont, et non pas en fonction d’un hypothétique devenir culturel ou politique, n’est pas encore vraiment à l’ordre du jour. Mais cela ne saurait tarder, si nous en croyons l’intérêt et les vocations que commencent à susciter les recherches, les rencontres et les différentes publications du GERME.

Les sources, sur lesquelles repose ce travail, sont de nature différente : presse, archives publiques, archives privées, entretiens, questionnaire écrit. Elles ne visent pas à l’originalité, ni d’ailleurs à l’exhaustivité. Nous n’avons, par exemple, utilisé aucun fonds en provenance des archives des rectorats.

 C’est un choix qui répondait à une volonté d’essayer d’appréhender le monde étudiant de l’intérieur, à partir de ses propres manifestations. Nous avons ainsi privilégié les archives en provenance des organisations étudiantes ou d’institutions très proches des préoccupations étudiantes comme celles du BUS ou de la MNEF (et pour cette dernière notamment celles de la Fondation Santé des Etudiants de France). Si nous avons pratiqué des entretiens, nous nous sommes souvent contentés de « personnes ressources » soigneusement sélectionnées. Nous n’avions pas l’intention de faire un travail d’histoire orale. De la même manière et dans le même esprit, nous avons élaboré un questionnaire par écrit qui fut adressé à une centaine de personnes (étudiantes et étudiants des années 1945-1968), 61 y ont répondu. Les destinataires ont été sélectionnés dans notre entourage familial, amical ou professionnel  afin de mieux vérifier les réponses.

Ce parti pris et une exploitation appropriée de nos sources nous ont permis de saisir au plus près un milieu aux représentations contradictoires et de faire une forme d’inventaire de ses composantes sociales, culturelles et politiques. Nous n’avons évidemment pas la prétention de faire une histoire totale et définitive qui permettrait une compréhension globale du milieu étudiant. Nous avons ancré plus modestement notre démarche dans le temps long tout en mettant l’accent sur une approche thématique : le nombre, la maladie et la politique.

Ces trois thèmes nous permettent de mettre en perspective les contours, les caractères originaux et les attitudes d’un milieu dont la connaissance historique reste encore fragmentaire.

1) La loi du nombre.

La loi du nombre est une donnée essentielle de cette histoire étudiante. La multiplication des effectifs, d’abord modérée, puis qui s’accélère au début des années soixante sous les effets conjugués de l’allongement des cursus universitaires, de la demande croissante de scolarisation supérieure et du baby boom a au moins trois conséquences importantes sur un milieu à l’équilibre précaire.

– Elle renforce la diversification sociale déjà entamée lors de l’entre-deux-guerres. Les classes moyennes deviennent majoritaires dans la population étudiante, et cela dès les années cinquante. Les fils et filles de cadres, de commerçants, de petits fonctionnaires, d’employés commencent à peupler les amphithéâtres des facultés. Les étudiants, originaires des professions libérales ou de la grande bourgeoisie auxquels les réseaux familiaux permettent de trouver un débouché après les études, s’effacent, même si leur nombre demeure encore jusqu’à la fin des années soixante statistiquement élevé.

– Elle pose aussi le problème de l’adaptation de l’Université à la nouvelle sociologie de son recrutement. La réforme devient dès lors un thème récurrent dans le milieu universitaire. Les étudiants conçoivent cette réforme de l’Université jusqu’à la fin des années cinquante uniquement dans le cadre d’une démocratisation du recrutement et lient, par conséquent, toute réalisation réformatrice à l’obtention de l’allocation d’études. Il faut alors attendre l’année 1958-1959 pour commencer à voir évoluer leurs positions vers une revendication sur les pratiques pédagogiques et les contenus des enseignements. Nous pouvons y voir, à notre sens, un changement d’attitude fondamental annonciateur d’une nouvelle manière d’appréhender les études universitaires. Elles sont devenues assurément pour l’immense majorité des étudiants un moyen de promotion sociale.

– Cette poussée des effectifs accroît encore les difficultés de travail des étudiants. Les facultés sont saturées malgré un réel effort budgétaire des différents gouvernements pour faire face à la vague démographique. Les constructions se multiplient en province comme à Paris, mais elles ne suffisent pas pour désengorger amphithéâtres et salles de travaux dirigés. La nécessaire politique du béton marquent ses limites, et cela d’autant plus que dans ce domaine les pouvoirs publics, malgré les avertissements venus du monde universitaire, ont plutôt fait preuve d’imprévoyance.

Sans être toutes réunies, les conditions d’une démocratisation de l’enseignement supérieur existaient bien après la guerre. La croissance de l’enseignement secondaire, le besoin d’une main d’oeuvre mieux formée liée à la reconstruction du pays et au début de l’expansion, la nécessité qui en découle d’un personnel d’encadrement plus nombreux nous font penser qu’une ouverture plus large de l’Université est tout autant une réalité qu’une nécessité. Cependant un certain nombre de facteurs freinent ce mouvement. Ils tiennent pour l’essentiel à la force d’inertie du système universitaire, à la résistance d’une partie du corps professoral, à l’absence en France à cette époque d’une réelle politique universitaire.

La loi du nombre, plus que tous les mouvements de contestations, contribuait à mettre à mal l’ancien édifice universitaire hérité de la réorganisation de la IIIè République. Les années de l’après-guerre furent donc marquées pour l’Université par des bouleversements de grande importance. Ils eurent des retombées sur l’identité même des étudiants. Des étudiants qui se sentent d’autant plus fondés à revendiquer leur part de reconnaissance qu’ils reçurent aussi en héritage les difficultés d’une époque et eurent à souffrir dans leur corps et leur esprit. La maladie put même prendre une dimension particulière dans un milieu prétendument privilégié.

2) L’épreuve de la maladie

Au lendemain de la Libération, la situation sanitaire du milieu étudiant est des plus préoccupantes. La tuberculose est un des fléaux majeurs dont la recrudescence, liée aux privations de l’Occupation, ne peut qu’inquiéter les étudiants et les pouvoirs publics. Si le premier sanatorium étudiant, celui de Saint-Hilaire du Touvet, a ouvert ses portes en 1933, il resta jusqu’en 1942 le seul établissement de cette nature en France. Mais sous la pression de la maladie, la Fondation, qui gérait le sanatorium de Saint-Hilaire, est obligée d’ouvrir d’autres centres de soins. En fait, c’est toute une filière de lutte contre la tuberculose qui se mettait en place, maisons de pré-cure, de cure et de post-cure. Aussi, au lendemain de la guerre et plus particulièrement au début des années cinquante, la Fondation sanatorium des étudiants de France est-elle en mesure de faire face à l’afflux d’étudiants malades.

 Pensée et réalisée dans l’urgence d’une situation exceptionnelle, la Fondation échappe en partie au mouvement étudiant même si des représentants étudiants siègent à son Conseil d’Administration. Elle n’en constitue pas moins pour l’UNEF un modèle et une référence où se forgèrent quelques grands thèmes de la revendication syndicale étudiante comme ceux de la participation ou de la cogestion. La réforme de l’Université prônée par le mouvement étudiant trouve là une de ses sources évidentes. Si les représentants étudiants sont capables de gérer une partie des oeuvres (Fondation, Sécurité Sociale, restaurants universitaires…), pourquoi ne pourraient-ils pas participer aux décisions avec voix délibérative au sein des Conseils d’Université ?

 Mais plus largement, le sanatorium, par sa mission (soigner mais aussi permettre au étudiants de poursuivre leurs études) est un lieu de sociabilité qui n’est peut-être pas aussi à l’écart qu’on pourrait le croire de l’Université et de la vie étudiante en général. Ne serait-ce que par la présence de l’Association Générale des Etudiants en Sanatorium qui répercute les débats politiques et syndicaux et organise des activités culturelles qui permettent souvent aux étudiants malades d’entrer en contact avec des personnalités du monde des arts et du spectacle, avec des universitaires de renom.

 Ainsi loin de se tenir en marge des évolutions culturelles de la société française, les maisons de la Fondation peuvent-elles faire figure de laboratoires sociaux où sont tentées nombre d’expériences pédagogiques qui firent par la suite les beaux jours du mouvement de mai 68. En effet, les premiers essais d’autodiscipline débutèrent avec plus ou moins de succès dans la Maison des Etudiantes de Vence au cours de l’année 1960-1961 tandis que, la même année, à Saint-Hilaire, on inaugurait les premières conférences sur l’éducation sexuelle.

Cependant, à partir de 1952-1953, l’effondrement de la morbidité tuberculeuse orienta l’attention des responsables de la MNEF et de l’UNEF vers les maladies mentales en milieu étudiant. On y voyait malgré le peu d’études effectuées le nouveau fléau des temps modernes. Après le corps, c’était désormais l’esprit des étudiants qui était menacé. Si les réponses apportées à ce prétendu danger ne furent guère originales, elles restaient calquées sur l’organisation de la lutte contre la tuberculose, le sujet était lui par essence beaucoup plus passionnel. Il semble bien qu’il n’y eut proportionnellement jamais plus d’étudiants souffrant de troubles psychologiques que dans le reste de la population mais l’occasion était trop belle pour ne pas la saisir.

L’interprétation socio-politique de la maladie l’emportait même si dans ce domaine les médecins se montraient d’une extrême prudence. De la MNEF à l’UNEF, on dénonçait les conditions de vie et de travail à l’université, la pédagogie archaïque, et les examens comme facteurs de névroses. Le contexte culturel des années soixante qui voyait se développer les thèmes freudo-marxistes n’y était sûrement pas étranger. Les formes de la maladie dans l’Université française entre 1945 et 1968 suscitèrent bien des réponses qui dépassèrent le terrain médical pour empiéter sur ceux du culturel et du politique. Bien qu’il nous soit difficile d’affirmer qu’il existe une culture de l’étudiant malade, la maladie n’en contribue pas moins à façonner une nouvelle image de ces jeunes qui fréquentent les bancs de nos facultés. Et ce portrait n’est en rien contradictoire avec l’étude de sociologie historique menée dans notre première partie. L’épreuve de la maladie peut contribuer aussi à la découverte de la parole politique.

3) La parole politique

Le rapport qu’entretinrent les étudiants à la politique entre 1945 et 1968 fut beaucoup plus complexe qu’on a bien voulu le décrire jusque-là. En effet, à l’exception peut-être des deux temps forts que furent la guerre d’Algérie et Mai 68, l’engagement resta le fait d’une minorité relativement faible même si comme le fait fort justement remarquer Alain Monchablon, il y a toujours un pourcentage d’étudiants engagés dans des partis ou groupements politiques « très supérieur à la moyenne nationale ». Au-delà de la frange militante des organisations étudiantes, nous cherchons en vain une expression politique qui ne soit pas seulement conjoncturelle. Faut-il alors se rendre à l’évidence ? La richesse des événements, les bouleversements sociaux, culturels ou technologiques intervenus dans ce quart de siècle, n’ont pas systématiquement impliqué un engagement politique massif et suivi des étudiants.

Il existe au moins trois raisons propres au milieu étudiant qui peuvent expliquer la faiblesse relative de l’engagement.

Premièrement, l’Université française n’a jamais été considérée par les étudiants que comme un lieu de passage où l’investissement autre que pour des études ne pouvait être qu’extrêmement modéré, pour ne pas dire inexistant.

Deuxièmement, par définition, être étudiant comme le faisaient remarquer Paul Bouchet et après lui bien des sociologues, ne peut s’apparenter qu’à une situation transitoire. Une classe d’âge disparaît presque en totalité dans les cinq ans qui suivent son entrée à l’Université. Cela rend d’ailleurs d’autant plus méritoire, la réussite syndicale des années cinquante et soixante. Troisièmement, comme nous l’avons remarqué, les traditions civiques et politiques sont différentes d’une faculté à l’autre. Longtemps le droit et la médecine fournirent les cadres du syndicalisme étudiant parce que la participation à la vie étudiante a toujours été chez eux plus forte qu’en lettres ou en sciences. D’ailleurs, ce sont eux qui ont le plus défendu la ligne syndicale de l’apolitisme.

En fait, de part et d’autre du « clivage » de la Seconde guerre mondiale, c’est à une politisation originale que nous avons affaire. Une politisation qui se traduit par une faible audience des partis politiques traditionnels.

Leur faible représentation en milieu étudiant tient à notre avis au moins à deux facteurs.

Le premier est le peu d’intérêt réel manifesté par les grands partis de gauche ou de droite pour le monde étudiant. Quand bien même un intérêt se manifeste, c’est toujours pour faire des organisations étudiantes des viviers de cadres et des porte-voix sans réelle autonomie par rapport aux aînés. Conception réductrice de l’action politique qui ne tient pas compte de la spécificité du milieu étudiant. En retour, ces partis n’ont donc guère de chance de séduire.

Le deuxième, peut-être le plus déterminant, tient à l’existence et au rôle joué par l’UNEF. Le choix de la Libération  et de Grenoble de redonner vie à la « vieille maison » en affirmant son caractère syndical fit d’elle, grâce au succès de l’opération, un véritable lieu de convergence en milieu étudiant. L’UNEF accueille en son sein l’essentiel des militants politiques et confessionnels étudiants : gaullistes, socialistes, radicaux, jécistes et quelques communistes. Elle put même être à certaines époques un enjeu de taille pour ces différents groupements mais elle sut en fait garder une marge d’indépendance suffisante que les étudiants appréciaient si l’on se fie à la progression régulière des effectifs jusqu’en 1962. C’est ensuite son affaiblissement, lié en partie à la fin du corpolitisme et aux crises que traversent l’UEC et la JEC, qui ouvrent des perspectives à l’extrême gauche en milieu étudiant.

Cette politisation originale du milieu étudiant est néanmoins indissociable du rôle que jouèrent les différents groupements étudiants dans la formation de l’élite politique en France. En effet, ils constituèrent autant de lieux de sociabilité étudiante, de formation aux responsabilités civiques et d’acculturation politique dans certains cas. Nous pouvons donc constater, avec toute la prudence requise par une étude qui n’a pas encore atteint son terme, que notamment pour les générations de la guerre d’Algérie et des années soixante, ces associations étudiantes participèrent bien au renouvellement des élites politiques du pays. La gauche, et plus particulièrement le parti socialiste, trouvèrent dans ses anciens de la JEC et de l’UNEF notamment, un potentiel technique et politique de qualité pour assumer, à partir de mai 1981, l’expérience du pouvoir. Une partie d’entre-eux constituait déjà les équipes qui préparaient dans l’entourage des principaux dirigeants socialistes le retour de la gauche au pouvoir. De nombreux réseaux prenaient leur source dans le militantisme étudiant, ce qui nous fait dire qu’en politique les générations spontanées n’existent pas. La formation d’un homme ou d’une femme politique, même jeune, est longue. Aussi longue que le sera leur carrière s’ils savent la gérer.

Le monde étudiant, présenté d’une manière aujourd’hui devenue classique, comme un lieu de reproduction (Pierre Bourdieu) ou comme un ghetto (Nicole Maupeou-Abboud) n’est évidemment ni l’un ni l’autre.

Loin d’être en marge de la société, les étudiants dont les comportements et les préoccupations évoluent, pèsent de plus en plus dans la nation. Leur revendication d’intégration développée par l’UNEF, notamment à partir de 1946, peut paraître contradictoire avec la thèse que nous soutenons. En fait, elle ne fait que souligner une supposée marginalité que la structuration du milieu et les engagements étudiants de l’après-guerre ne font que démentir. Les organisations étudiantes (UNEF, JEC, UEC…) sont autant de lieux où les problèmes de la société française de l’après-guerre sont débattus. Le ghetto apparaît singulièrement perméable. Il suffit pour s’en convaincre de se situer, comme nous l’avons fait, au carrefour des grands événements affectant le pays, voire le monde, telles que la Guerre froide ou la décolonisation. Les débats nationaux et internationaux rejaillissent au coeur du milieu universitaire et les positions que prirent les étudiants dans leurs élaborations successives, dans leurs diversités ne furent jamais très éloignées de celles du pays dans son ensemble. Si le fait d’être étudiant constitue une situation particulière, cette dernière n’induit par toujours, et surtout automatiquement, des comportements sociaux ou des engagements politiques propres au monde étudiant.

Il n’y aurait donc pas de problèmes étudiants qui ne soient pas, dans la période que nous étudions, des problèmes de la société française. Les jécistes parlaient « d’aspects étudiants de problèmes généraux ». Cette affirmation se vérifierait jusque dans la teneur pédagogique de la contestation de l’Université des années soixante. La protestation contre les cours magistraux, les examens, la « morgue » ou l’indifférence des professeurs ne serait dans ces conditions, en définitive,  qu’un aspect de cette crise de l’autorité qui fait aussi sentir ses effets à la même époque bien au-delà des campus universitaires et qui trouva sa concrétisation dans la conjonction universitaire et sociale du mouvement de Mai 68.

Didier Fischer

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