lecture : Claude Singer, L’Université libérée, l’Université épurée (1943-1947)

Claude SINGER L’Université libérée, l’Université épurée (1943-1947) Les Belles lettres 1997. Cinq ans après l’analyse des persécutions antisémites menées par Vichy dans les divers ordres d’enseignement1 , Claude Singer nous présente L’Université libérée, l’Université épurée (1943-1947), université étant à prendre comme métaphore de l’ensemble Education Nationale, même si l’enseignement supérieur est plus particulièrement étudié.

L’analyse est menée minutieusement à partir de multiples fonds d’archives publiques (en particulier dans la cote F 17, les 263 cartons des CAE, Commissions Académiques d’Enquête, chargées de préparer les dossiers individuels d’épuration, dont certains dossiers sont aujourd’hui curieusement vides) y compris ceux de la  BDIC. Elle permet une approche prosopographique partielle  de la période.

Pour la clarté de l’exposé Claude Singer traite la Libération puis l’épuration à l’Université en deux parties distinctes, bien que les deux processus soient en grande partie  simultanés et surtout logiquement liés. La partie sur la Libération mêle des analyses de la conjoncture politique et sociale à l’intérieur de l’Université où gaullistes et communistes sont face à face, les plus interessantes, à des données sur la triste condition matérielle de la fin de la guerre, et à des aperçus sur réformes éducatives qui accompagnent la Libération. C’est la deuxième partie, sur l’épuration, qui forme l’étude la plus homogène, et permet d’aborder une question jusqu’alors mal connue dans la cadre spécifique de l’Education Nationale, alors qu’on sait que cette administration est en valeur absolue celle qui – après l’Intérieur et la SNCF – a eu la plus forte épuration. Au total 4379 dossiers individuels (soit 1,8% de l’ensemble des effectifs) ont été présentés aux ministres de la Libération, 3529 ont fait l’objet de sanctions. En pourcentages, l’épuration affecte, toutes sanctions confondues, particulièrement le Supérieur puisque 13% des personnels ont été concernés; il est vrai que l’enseignement supérieur fournissait également les cadres du Ministère et les postes rectoraux. L’épuration a affecté particulièrement les Universités méridionales de la zone un temps non occupée, ce que l’auteur attribue au caractère de cette guerre «franco-française».  Curieusement le Droit a été nettement moins sanctionné que les Lettres et la Médecine. Cl. Singer insiste sur le caractère douloureux de ces procédures, dans un milieu restreint où, s’il n’y a pas eu d’épuration sauvage, membres des Commissions d’enquête et suspects se connaissaient souvent, au point de se tutoyer parfois. Il note aussi combien l’antisémitisme a  été alors secondaire dans les accusations portées.

Parce qu’ils étaient des «usagers» et non des personnels, les étudiants tiennent un rôle secondaire dans cette deuxième partie. Absents par définition des commissions officielles d’épuration, ils n’en ont pas moins donné sa coloration à la période. Utilisés comme instruments de la propagande vichyste, ils sont à la Libération l’objet d’une sévère concurrence entre les communistes et les autres résistants; Cl. Singer estime que face aux premiers, René Capitant, ministre de l’Education Nationale du Gouvernement Provisoire «joue très subtilement la carte de la renaissance de l’UNEF» en 1944. Localement, les mouvements d’étudiants et leurs pétitions sont instrumentalisés par diverses forces politiques pour accentuer ou au contraire freiner l’épuration à l’encontre de tel ou tel universitaire. A un autre niveau, le comportement spontané des étudiants les montre parfois indifférents à l’enthousiasme officiel de la Libération: monômes plus ou moins violents, heurts avec des soldats de la nouvelle armée française, protestations jugées «irresponsables» par les autorités contre la nourriture des restaurants universitaires, autant de comportements qui indiquent que le monde étudiant est loin d’être transformé par la Libération.

L’étude conclut d’ailleurs de façon plus désenchantée que les développements antérieurs sur les limites du renouveau alors amorcé de l’université aussi bien que de l’ampleur de l’épuration. Elle appelle à rendre moins incertaine l’histoire de l’Université à la Libération; disons que Claude Singer y a déjà bien contribué.

                                                                        Alain Monchablon

Les Cahiers du Germe trimestriel n° 6 – 1° trimestre 1998



1 Claude SINGER: Vichy, l’Université et les Juifs, Les Belles Lettres, 1992.

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