lecture : Stéphane Merceron, Aspects de l’Union nationale des étudiants de France à la fin des années Trente, une organisation étudiante dans son temps, 1936-1939

Stéphane MERCERON: Aspects de l’Union Nationale des Etudiants de France à   la fin des années Trente, une organisation étudiante dans son temps, 1936-1939. Maîtrise, sous la  direction  de MM Pascal Ory et Mollier, Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines, centre d’histoire culturelle de l’Europe moderne, novembre 1996, 1 vol 144 p, + 1 vol (63 pages) d’annexes. Récemment soutenue, avec la mention «Très Bien», la maîtrise de Stéphane Merceron a un double intérêt. Elle donne une vivante présentation de l’UNEF de la fin des années Trente; elle permet également  de revisiter la vision traditionnelle des «trois âges» du mouvement étudiant en France.

S’appuyant principalement sur les archives de la BDIC, Stéphane Merceron a utilisé la presse étudiante et les comptes-rendus officiels des Congrès (à l’exception de celui de 1937, à ce jour introuvable) pour brosser le tableau de la vie étudiante et de l’évolution de l’UNEF entre 1936 et 1939. Cette dernière est alors constituée et présente dans toutes les villes universitaires, il ne se crée d’Association Générale nouvelle qu’à Nice, et les associations féminines d’étudiantes se sont fondues dans les AGE. Au total, en 1938, une fois pansées les plaies liées à la disparition (en 1934) de l’AGE de Paris, l’UNEF affirme grouper un étudiant sur quatre.

 Les étudiants sont eux aussi touchés par la crise des années Trente: alors que leur nombre augmente, ils sont affectés par la raréfaction des débouchés professionnels, par les effets de la déflation Laval de 1935, et particulièrement par le doublement cette année-là des droits universitaires. Il ne faut alors pas s’étonner que la «question sociale» fasse, plus que par le passé, son apparition à l’UNEF, et contribue à en infléchir l’orientation: les revendications matérielles viennent au premier plan, et des changements d’équipe ont lieu, en particulier lorsqu’en 1937 un étudiant socialiste et membre de la LAURS (Ligue d’Action Universitaire Républicaine et Socialiste) accède à la présidence. Stéphane Merceron discerne au sein de l’UNEF l’opposition entre ceux qui tournent l’inquiétude étudiante vers l’exclusion des étudiants étrangers (souvent juifs au reste), et ceux qui revendiquent l’extension des débouchés. Les mesures qui  sont alors prises par Jean Zay, ministre de l’Education Nationale du Front Populaire, renforcent cette deuxième option: le renforcement du Bureau Universitaire de Statistiques, l’agrandissement du sanatorium de Saint Hilaire du Touvet, la création du Comité Supérieur des Oeuvres pour les Etudiants, la Médecine Préventive Universitaire, la Semaine Sociale de l’Etudiant, sont autant de réponses à la situation de la jeunesse intellectuelle, et donnent à l’UNEF un rôle accru, à la fois actif et représentatif. Les journaux d’AGE naissent ou renaissent, et l’UNEF dispose au niveau national, pour la première fois depuis longtemps, d’un périodique.

Ainsi engagée dans les revendications matérielles, en même temps que dans la gestion de services en faveur des étudiants, l’UNEF ne répond plus exactement aux caractéristiques du corporatisme strict, replié sur lui-même, supposé être le «deuxième âge» du mouvement étudiant, faisant suite à l’âge folklorique» d’avant 1914, et précédant l’âge syndical» d’après 1945. Que l’orientation du mouvement  ne se fasse plus à l’écart de l’ensemble de la société, S.Merceron en voit un autre indice dans les prises de position de l’UNEF en faveur du sport amateur que développe alors Léo Lagrange: le sport étudiant n’est pas une branche à part. De même, S.Merceron note le rôle actif que jouent de nouveau les dirigeants de l’UNEF au sein de la Confédération Internationale des Etudiants, où ils s’opposent avec succès aux étudiants de l’Axe. A partir de 1938  l’UNEF se soucie activement du sort des étudiants Outre-mer, autant dans leurs besoins scolaires que dans leur devenir civique.

Tout ceci nous éloigne en effet d’un corporatisme défini comme isolant les étudiants de la société, et refusant la dimension politique de son action. Les arguments de S.Merceron ne sont pas sans valeur; mais ne faut-il pas voir dans l’évolution de l’UNEF,  en ces dernières années d’avant-guerre, avant tout la marque du remarquable ministre que fut Jean Zay ? Le ralliement ultérieur, sans états d’âme, des mêmes dirigeants de l’UNEF à la Révolution Nationale ne témoigne-t-il pas de la fragilité de l’évolution proprement interne de l’UNEF d’alors ?

A.M.

Les cahiers du germe (trimestriel) N° 2 – 1° trim 1997

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