Pierre Marc Lachaud (juillet 1936 – février 2023)

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Photographie Caroline Chalier/Cité des mémoires étudiantes

Pierre Marc Lachaud est né le 22 juillet 1936. Il fut membre de 1953 à 1957 de l’AGE de Limoges de l’UNEF, dont il fut aussi président, et membre du bureau national en tant que vice-président culturel (1955/1956). Sur des positions « majo », il préside l’éphémère MEF (Mouvement des étudiants de France), formé par le départ de 17 AGE de l’UNEF en 1957, scission résorbée fin 1958. Après ses études, il fut enseignant, puis secrétaire général d’académie et enfin Inspecteur général de l’Équipement jusqu’à sa retraite. Il était membre de l’AAUNEF (Association des anciens de l’UNEF) et on le voit sur la photographie portant une faluche au « congrès du centenaire » tenu par l’UNEF en 2007 à Lille, Il avait confié ses archives à la Cité des mémoires étudiantes qui, dans la dernière livraison des Cahiers du Germe, était heureuse d’en annoncer le classement dans cette première année de relance du partenariat avec les Archives nationales et le ministère chargé de l’Enseignement supérieur. Il avait également participé avec la Cité des mémoires étudiantes et le Germe à la rencontres-ateliers « scissions et réunifications » tenue en janvier 2012 à Aubervilliers, intervention qu’il avait bien voulu mettre en forme pour publication dans le dossier « Mouvements étudiants et guerre d’Algérie » paru dans Les Cahiers du Germe n°  30 2012/2013, que nous reproduisons ci-dessous.

Trois remarques préliminaires

 » Je ne peux porter témoignage que sur ce que j’ai vécu personnellement, c’est-à-dire jusqu’au congrès de Limoges à Pâques 1958 car aussitôt après je n’étais plus tout à fait étudiant, j’étais dans un chœur de chanteurs évangéliques, ce qui m’a passionné mais était d’une autre nature, ce qui fait que je n’ai pas vécu les moments qui ont suivi et notamment celui où mon successeur, Pierre Bourdon, est rentré à l’UNEF en novembre 1958. C’est aujourd’hui que je prends connaissance du « protocole de réconciliation », le mot me paraît bien fort, je vais y revenir.

La plupart des autres acteurs qui pourraient témoigner sont aujourd’hui malheureusement disparus, je pense bien sûr à mon premier vice-président, Guillaume du Couëdic, mort en 1960 en Algérie, à Pierre Bourdon qui nous a quittés il y a déjà plus d’une dizaine d’années. De cette époque du MEF, le seul autre qui pourrait porter témoignage c’est Christian Regnier de la FEP (Fédération des étudiants de Paris) qui a fait partie de la première équipe puisqu’il a été trésorier en 1957.

Je conteste ce qui a été dit : je ne pense pas que le MEF ait eu jamais ses entrées dans quelque parti politique que ce soit, de droite ou d’ailleurs, même si moi, à titre personnel, je pouvais avoir des relations amicales et personnelles avec quelques hommes politiques comme le Sénateur Gustave Philippon à Limoges, comme André Morice, ancien maire de Nantes et ancien ministre de la Défense, ou encore comme Max Lejeune, mais ce n’était pas en tant que président du MEF.

Qu’est-ce qui en a été de cette aventure du MEF ? Il convient évidemment de se mettre dans le contexte des années 1950, quand à partir de la démission orageuse du président De Bernis en 1950, des bureaux majoritaires ont vécu jusqu’en 1956 dans des formules qui s’appelaient des “ bureaux d’union ” où il y avait des représentants des deux sensibilités internes à l’UNEF, que ce soit Jean Sarvonat, Guy Penne, Jean-Marc Mousseron, Jacques Balland, Jacques Pesson, Claude Rossignol ou encore Jacques Raffoux[1], tous ces bureaux étaient dits d’union. Les tensions existaient, la preuve en est les comptes-rendus des congrès ; elles ont pris un état de paroxysme au printemps 1956 lorsque la démission des membres minoritaires du bureau Raffoux en juin a rendu caduc le bureau issu du congrès de Strasbourg, et où il a fallu constituer un bureau majo homogène qui n’a duré que cinq semaines puisque lors d’un conseil d’administration début juillet 1956 les minos sont devenus majoritaires, les associations dites majos ont quitté la séance une première fois, se réservant des suites qui n’ont pas eu lieu à ce moment-là, mais qui en gestation étaient un peu la genèse de ce qui allait se passer au congrès de Paris par la suite.

Au congrès de Paris nous étions confrontés à deux difficultés de même nature. L’une, c’était la volonté des nouveaux majoritaires de s’exprimer fortement sur les problèmes algériens alors que nous pensions qu’une telle déclaration ne pouvait être du ressort de l’UNEF. Nous avions aussi en face de nous nos amis de l’AGE d’Alger qui, sous la présidence de Jean Gautrot, avaient pris une démarche résolument engagée et politique : nous récusions tout autant, même en le comprenant, cet engagement de l’AG d’Alger en tant qu’AG. Il nous semblait que les jeunes français d’Algérie pouvaient s’exprimer librement mais pas en tant qu’AGE d’Alger. C’est la raison pour laquelle nous fondant sur les statuts initiaux de l’UNEF comme de la charte de Grenoble, nous revendiquions un apolitisme, c’est-à-dire une neutralité qui faisait que quels que soient les engagements extérieurs à titre individuel dans d’autres organisations, au sein de l’UN et des AG l’on devait rester neutres.

Il y a eu un congrès houleux, difficile où nous ne sommes pas arrivés à nous entendre. Il nous semblait que le refus de la nouvelle majorité de s’engager sur une charte de l’apolitisme sous-entendait l’idée de pouvoir, dès que nous aurions pris la porte, précisément prendre des engagements de caractère politique, ce qui nous paraissait hors de propos au sein de l’Union nationale. C’est la raison pour laquelle nous avons, non sans difficultés, réussi à prendre une position de départ qui se voulait avant tout une semonce. Tous les majos ne sont pas sortis. Je rappelle – et cela a été une des faiblesses du MEF – qu’un nombre important d’AG majoritaires sont restées à l’UNEF, pour ne citer que Lille, Paris sciences… C’est environ 60% des majos qui sont sortis pour créer ce qui a été qualifié par les minos comme « mouvement scissionniste ». Personnellement je récuse le terme de scission. Les statuts qui ont été déposés à la préfecture de Paris traduisaient la création d’un « Secrétariat de coordination des associations générales d’étudiants de France, de l’Union française et d’étudiants français de l’étranger pour la réunification de l’Union nationale des étudiants de France ». Ce titre, fort long, avait conduit à chercher un résumé, et on a donc appelé ce secrétariat de coordination « dit Mouvement des étudiants de France », d’où le sigle MEF. Si on avait voulu utiliser toutes les consonnes on serait arrivé à un sigle faramineux de 23 ou 24 consonnes, ce qui m’a valu un article humoristique de Jacqueline Salmon dans France-Soir.

Lorsque s’est constitué le MEF, il y a effectivement deux questions qui se sont posées : tout d’abord c’était de savoir si c’était véritablement, j’ose le mot, une « contre-UNEF ». Or ce n’était pas une contre-UNEF, ce ne voulait pas l’être, et je crois honnêtement que cela ne l’a pas été. Certains de mes camarades auraient été tentés de prendre l’intitulé « UNEF-ME » (pour Mouvement étudiant) comme il y avait une CGT-FO. Cela aurait manifestement signifié la volonté de rompre les ponts, or ce n’était pas le sentiment de la majorité ds mes amis, en tout cas ce n’était pas la mien. Si cela avait été adopté, je n’aurais pas été partant.

La deuxième observation, la question s’est posée quand on s’est réuni en assemblée générale, de savoir si on appelait à la création de structures identiques au MEF dans toutes les AG de la nouvelle majorité de l’UNEF, c’est-à-dire que nous serions allés partout ici ou là dans les AG pour regrouper les corpos de notre sensibilité. Nous ne l’avons pas voulu, et je me suis personnellement opposé à ce qu’il y ait ce type d’appel à de véritables scissions locales. Nous avons demandé que les AG restent unitaires, ou unitaires avec nous, ou unitaires avec les autres, et c’est ce qui s’est passé pendant au moins toute l’année 1957 et le début de l’année 1958.

Début 1958, alors que j’avais laissé les rênes à Pierre Bourdon et Guillaume du Couëdic, un certain nombre d’AG ont commencé à s’interroger en considérant le côté ambigu de la position que j’avais prise de dire nous ne sommes pas contre l’UNEF, mais momentanément hors de l’UNEF. Au moment du congrès de Limoges (où je suis revenu brièvement quelques jours pour assumer mes responsabilités en faisant le rapport moral), j’ai constaté que quelques AG qui avaient été tout à fait partantes en 1957 commençaient déjà à avoir une autre approche. J’en ai pris acte, mais j’ai pris soin de laisser à Pierre Bourdon le soin de gérer la suite, et cela a permis de conduire à la réunification de novembre 1958.

Il est exact que le gouvernement et son ministre René Billères n’ont pas accepté de recevoir officiellement le MEF, seul un conseiller technique du ministère, si ma mémoire est bonne c’était Jean-Louis Crémieux Brilhac, nous a reçus, nous a écoutés mais nous n’avons pas eu ce que nous espérions, à savoir la reconnaissance à due proportion des dizaines de milliers d’étudiants que nous représentions. La principale difficulté conséquente a été une difficulté financière, économique, pour une double raison. La première, c’est qu’avant le congrès de Paris toutes les AG – minos comme majos – avaient versé leurs cotisations à la trésorerie de l’UNEF, donc après ce congrès nos AG étaient exsangues sur le plan financier. Il a fallu faire un appel à des cotisations supplémentaires qui ont été difficiles à réunir et nous espérions avoir une part de la subvention nationale, nous ne revendiquions pas des sommes mirifiques, mais notre “ part du gâteau ” en proportion. Cette difficulté matérielle a été je pense aussi déterminante dans les difficultés rencontrées par le MEF après mon départ et qui ont conduit pour une part à la réunification.

Ce que je voudrais dire enfin pour terminer c’est que le MEF certes est peut-être mort de cette ambiguïté, mais après tout c’est une ambiguïté dont je suis relativement fier a posteriori, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’ai aucun scrupule à me présenter comme ancien de l’UNEF : j’ai été secrétaire général de l’AG de Limoges de 1953 à 1957, vice-président de l’UNEF en 1956, certes j’ai été président d’un MEF qui a posé quelques soucis mais je pense que ces soucis n’ont en définitive pas nui à l’UNEF.

Je conclurai par deux remarques

D’abord, contrairement à ce qu’on a pu lire ici ou là, notamment sous la plume de plus jeunes camarades des années 1960 ou 1970 qui n’avaient peut-être pas une claire conscience de ce que furent les années 1950, les AG majos sur le plan de la politique syndicale étaient extrêmement proches, si ce n’est pas à l’identique, des AG minos. Par exemple sur la revendication phare de l’UNEF des années 1950, l’allocation d’études, la plupart des AG majos faisaient campagne très vivement pour cette allocation d’études. Les différences se situaient ailleurs, et c’est sur le drame algérien que cela s’est concrétisé dans la mesure où nous souhaitions qu’en respectant l’apolitisme l’expression sur les affaires d’Algérie se fasse dans un cadre autre que celui du syndicalisme étudiant.

Enfin nous prétendions, et je crois malheureusement que la suite ne nous a pas donné tort, que si notre attachement fondamental à l’apolitisme permettait de garder une seule UNEF, tout engagement plus marqué ne pouvait avoir pour conséquence que de créer des scissions ou des difficultés ultérieures. Nous souhaitions une union nationale unique, pour cela il fallait qu’elle ait une certaine forme de neutralité. Pour diverses raisons un certain nombre de nos amis de l’UNEF nouvellement majoritaires ont pris une option différente. Nous prétendions que cette option allait conduire différents types de sensibilité à s’exprimer et donc qu’on était devant l’imminence de nouveaux syndicats étudiants rivaux, ce que nous espérions éviter. C’était peut-être un rêve. Je veux bien revendiquer cette part d’angélisme, ce rêve s’est fracassé et ensuite il s’est créé un certain nombre de nouvelles unités. Certains de mes amis du MEF sont partis vers d’autres formations, je pense à la FNEF, mais ce sont quelques individus, ce n’était pas le mouvement d’ensemble. D’autres sont restés dans l’UNEF, mais une UNEF qui a connu les avatars que vous connaissez et les scissions au cours des dernières décennies.

En tant qu’angliciste j’avais fait divers séjours à Londres. J’ai eu l’occasion d’assister à des réunions de syndicats britanniques appartenant aux TUC, et j’avais constaté que quelle que soit la virulence des débats internes, quand le TUC se présentait ensuite devant l’opinion publique, il avait un front uni. Nous en rêvions autant pour le monde syndicale étudiant. En 1958 mes successeurs sont rentrés à l’UNEF, tant mieux. Malheureusement un peu plus tard ce qui devait arriver arriva…

[1] Après la démission de De Bernis en 1950 les présidents sont majos : Sarvonat  jusqu’en 1953, Penne en 1953, Mousseron en 1954, Balland en 1954/1955, Rossignol puis Pesson en 1955/1956, et enfin Raffoux en 1956.

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