« Femme, Vie, Liberté » : Iran, un mouvement qui vient de loin.

masha aminiLes mobilisations dans la jeunesse scolarisée iranienne, dont les femmes étudiantes et lycéennes sont en première ligne, ont commencé en réaction à l’assassinat d’une jeune étudiante, Mahsa Amini, et continuent autour de revendications communes : contre le port du voile obligatoire et la police des mœurs, pour la fin de la répression, sous le slogan de « Femme, Vie, Liberté ». Cette mise en mouvement, sa puissance numérique, est évidemment à mettre en relation avec le poids numérique du monde étudiant et lycéen (et des femmes en leur sein) ainsi qu’avec les mouvements précédents. En voici quelques éléments.

Étudiantes et étudiants en Iran

L’Iran compte près de 5 millions d’étudiantes et d’étudiants (chiffres 2016) pour 89 millions d’habitants (données 2020). 48% des étudiants sont des étudiantes. hommes femmes iran universiteCe processus de féminisation est ancien. Dès 1943 une loi a rendu l’enseignement primaire obligatoire pour les filles et les garçons, en 1978, à la veille de la révolution islamique, elles constituent 37 % des collégiens, 36 % des lycéens et 29 % des étudiants. Le nouveau régime de la République islamique introduit une rupture en recentrant l’éducation sur la religion[1], Une révolution culturelle est déclenchée par le nouveau pouvoir islamiste, entraînant la fermeture temporaire des universités (1980-1982) et donnant une impulsion décisive à l’islamisation de l’enseignement supérieur. On assiste alors à une purge massive des opposants, un contrôle idéologique et politique, des réformes idéologiques notamment en sciences humaines et sociales[2]. Toutefois la féminisation n’est pas freinée : la croissance continue, et on atteint une égalité à 1 ou 2% près selon les années à partir de 1990[3].

Après une baisse à la fin des années 2000, la proportion de femmes dans les universités a augmenté. En 2014 on comptait 53 % d’hommes et 47 % de femmes au sein des universités iraniennes. mais la répartition varie fortement selon les cursus. La répartition est également différente selon le type d’université. Elles sont beaucoup plus présentes dans les universités publiques (56% de femmes) que dans les universités Azad (39%)[4]. Les femmes sont majoritaires au sein des universités iraniennes dans différents domaines, tels que la médecine et les sciences humaines[5].

1999 : premiers avertissements

En juillet 1999, l’Iran connaît les plus importantes manifestations d’opposition depuis 20 ans. Le Parlement, dominé par les conservateurs, restreint par une loi le droit de la presse. Le quotidien réformateur Salam est alors fermé.  Le lendemain, 8 juillet, à Téhéran, des étudiants manifestent et s’opposent aux forces de l’ordre et aux milices. La police intervient brutalement sur le campus de la capitale et même plusieurs membres du gouvernement protestent. Le 11, les manifestations étudiantes s’étendent aux principales villes du pays. Les étudiants, malgré les interdictions de rassemblement, réclament la démission du chef de la police, dont l’attitude amène l’ayatollah Ali Khamenei lui-même à le critiquer comme irresponsable et inacceptable. Un général de police, est limogé. Mais le 13, une nouvelle manifestation étudiante, à Téhéran, dégénère en affrontements violents. Le président Khatami dénonce certaines « déviations » du mouvement de protestation qui « seront réprimées avec force » parce qu’elles « portent atteinte aux fondements du régime ». Le 14, l’Organisation de la propagande islamique effectue une démonstration de force, réunissant des centaines de milliers de personnes dans les rues de Téhéran. Les étudiants cessent leur mouvement. Le 20, dans une lettre ouverte adressée au président Khatami, vingt-quatre officiers du corps des Gardiens de la Révolution dénoncent le « laxisme » du gouvernement et menacent de ne plus tolérer davantage de « désordres »[6]. La commémoration des dix ans de ces évènements est interdite en 2009.

femmes iran camembertLe mouvement de 2019

En 2019, un mouvement bien plus vaste – mais les mondes étudiants et lycéens se sont également renforcés en nombre, et féminisés encore – se déroule en novembre et décembre.

Il y avait bien eu des manifestations de masse en décembre-janvier 2017-2018, touchant l’ensemble du pays, mais en 2019 la portée des protestations a été beaucoup plus large, tout comme la répression. Internet avait été bloqué, il y a eu plus de 500 morts, au moins 2 500 blessés et neuf mille arrestations. Le 7 décembre, 2019 à l’occasion de la journée des étudiant.e.s, des militant.e.s universitaires iraniens ont annoncé une manifestation de solidarité avec les luttes du peuple iranien, mais aussi des peuples du Chili, du Liban, d’Irak et ailleurs. Depuis cinq années, les syndicalistes avaient fait campagne contre les politiques d’austérité de l’université et contre l’exploitation et la répression des travailleurs iraniens. Ce jour-là était publiée et lue une déclaration conjointe des syndicalistes des universités de Téhéran et d’Allameh, dont voici un extrait concernant plus particulièrement la situation des femmes[7].

« L’état actuel a été en mesure de lier la forme la plus moderne de l’exploitation avec de plus anciennes formes d’oppression. Nous sommes confrontés à un État dont les règles de droit sont influencées par l’idéologie religieuse dominante. La suppression des minorités religieuses (chrétiens, sunnites, derviches, etc.) est enracinée dans ces lois. Nous, les étudiant.e.s, défendons la liberté d’expression, la liberté de croyance et de religion, et affirmons notre solidarité dans ces revendications et ces luttes légitimes pour la libération de masse.

L’antagonisme de genre est une autre contradiction inhérente au système capitaliste, acquérant des caractéristiques spécifiques en raison du dispositif idéologique du pouvoir en Iran.

Nous, les étudiant.e.s, sommes conscient.e.s de l’importance des luttes pour l’émancipation des femmes afin de construire une société sans oppression ni exploitation, et nous considérons que toutes les formes traditionnelles et modernes d’oppression des femmes aboutissent finalement à la reproduction du capitalisme et de son existence. D’autre part, cette oppression est l’un des piliers les plus fondamentaux de l’idéologie dominante et joue un rôle décisif dans la formation de l’État au pouvoir. Les mécanismes de cette idéologie sont de contrôler et de subordonner les femmes dans tous les lieux et institutions, de la famille à l’université, au travail et dans la rue. Mais les femmes, malgré toutes leurs protestations au fil des décennies – du rassemblement des femmes en mars 1979 au rassemblement des étudiantes contre le Hijab obligatoire en mai 2019 – tout en maintenant la distance avec l’opposition conservatrice, ne sont pas restées silencieuses contre cette tyrannie. Parallèlement à ces luttes, nous, les étudiant.e.s, avons entendu la colère rugissante des femmes pour une véritable émancipation et déclarons à nouveau notre solidarité dans les luttes contre la poursuite de « l’intégration de la religion et du gouvernement » et toutes les formes de patriarcat. »

[1] Saeed Païvandi, Islam et éducation en Iran. Echec de l’islamisation de l’école en Iran, Paris,L’Harmattan, 2006

[2] Saeed Païvandi « État islamique et monde académique en Iran : la longue bataille continue », La Pensée 2020/3 (N° 403),

[3] Clotilde Reiss, « Éléments sur le système éducatif iranien », Revue internationale d’éducation de Sèvres n°49, décembre 2008.

[4] L’université islamique Azad a été crée à Téhéran en 1982, puis s’est étendue sur d’autres sites dans le pays.

[5] Fiche Iran du ministère français des affaires étrangères, avril 2017.

[6] Voir articles du Monde et Encyclopedia universalis.

[7] Texte intégral : http://www.iran-echo.com/echo_pdf/declaration_des_etudiants.pdf

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