Lectures: Joël Fallet, « Les maos de l’UCF : une histoire politique, 1970-1984 »

maos de l'ucfLectures : l’historien, le témoin et les archives orales. –

Joël Fallet, Les maos de l’UCF : une histoire politique, 1970-1984 ; Philippe Buton, Histoire du gauchisme : l’héritage de Mai 68. Ces deux livres (voir note sur le livre de Philippe Buton sur notre site) abordent l’histoire du gauchisme et utilisent des archives orales : c’est ce point méthodologique que nous avons voulu aborder ici.

Joël Fallet, Les maos de l’UCF : une histoire politique, 1970-1984 , Paris, L’Harmattan, 2021, 421 p. Le livre de Joël Fallet se veut d’abord un témoignage « rigoureux » et non « hagiographique », avec, dès les premières pages, un avertissement emprunté à Daniel Bensaïd : « Il y a aussi le risque à raconter ses souvenirs, de chaparder ceux des autres et de s’approprier indûment une expérience partagée »[1]. Ce travail de mémoire s’est fait à partir de témoignages (une trentaine de recueillis) et de documentation militante (archives privées de l’auteur et de quelques autres militant·es, dont 1283 tracts, p. 378) et c’est à la demande de ses deux enfants que l’auteur a entamé ce travail (p. 7) au moment de sa retraite et de son retour à Reims. Il a entamé un doctorat d’histoire, mais n’a pas pu accéder aux fonds d’archives publiques concernés (p. 413) et a renoncé à soutenir suite à « des différends avec [son] directeur de thèse » (p. 7).

Il est composé de quatre parties : de mai-juin 1968 à l’adhésion du témoin à l’UCF (1974) ; son « établissement » et son intervention dans l’art et la culture (1975-1984) ; « gens des quartiers des campagnes » et « La figure du militant ».

Avant d’aborder ces différentes parties, rappelons ce qu’est l’UCF ml : l’Union des communistes français marxistes-léninistes, créée en mai 1970 (p. 33) ; en 1973, l’adjectif français devient « de France » (à lier au concept de « prolétariat international de France » (note 56, p. 33) ; en 1984, l’UCF devient « L’organisation politique » qui disparaît en 2007.

Lycéen à Roosevelt (Reims), fin mai 1968, il passe 4 jours à Paris en pleine « tempête révolutionnaire » (titre de Pékin Information, p. 22-23). Aussi, à la rentrée 1968, sa dernière année au lycée (bac D), il devient militant, fait la grève de la faim plusieurs jours, avec une dizaine de camarades, pour de « meilleures conditions de vie » en janvier 1969. Animateur du club UNESCO, depuis 2 ans, il participe au congrès national de Béziers en mars-avril. A la rentrée 1969, il s’inscrit en histoire à la faculté des lettres de Reims, située pour une dernière année rue d’Anjou (près de la cathédrale) avant de gagner le nouveau Campus Croix-Rouge. La première partie de l’ouvrage va jusqu’à l’« unification » de J. Fallet, c’est-à-dire son adhésion à l’UCF.

Aussi, dans cette partie, l’auteur confronte surtout son observation extérieure aux mémoires des militant·es, dont trois des 4 fondateur·es : Alain Badiou, venant du PSU (secrétaire fédéral de la section de Reims du Parti socialiste unifié) ; Sylvain Lazarus et Natacha Michel, issus de la GP (Gauche prolétarienne, fruit de la réunion d’anciens de l’UJCml et du Mouvement du 22 mars-seconde période). La préparation du 6e congrès du PSU, à Dijon, en mars 1969[2], occasionne un premier texte « marxiste-léniniste » autour d’A. Badiou[3]. Des témoignages d’anciens des sections de Reims (refus de coller des affiches pour la candidature de M. Rocard aux élections présidentielles) et de Marseille complètent ce volet PSU. En septembre 1969, Alain Badiou signe un texte préparé par S. Lazarus et N. Michel et se lance dans la constitution du « Groupe pour la fondation de » l’UCFml.

Sur Reims, les luttes se poursuivent et s’étendent : grève à Chausson (automne 1970), avec création d’une « caisse de solidarité », dans les quartiers avec la « lutte d’avril 71 » (terrain de jeux du Chemin Vert, 3 militants arrêtés, manifestations violentes notamment devant le Palais de Justice) et à l’université, principalement sur le nouveau campus Croix-Rouge (grève contre le projet Guichard de Centres de formation professionnelle des maîtres et « séquestration » du recteur Gay, le témoin faisant partie des signataires -« étudiants maoïstes »- qui ont abandonné l’AGER-UNEF aux communistes qui critiquent cette dernière action contrairement aux trotskistes de la Ligue communiste) sans oublier la manifestation de protestation après la mort de Pierre Overney (p. 60 et p. 51 sq). D’autres mouvements s’organisent sur le plan national, notamment en solidarité avec les travailleurs immigrés (mais aussi Lip, Chili, Larzac, Portugal) ; l’auteur en parle à travers d’autres témoins-acteurs.

C’est à la rentrée 1974, après avoir soutenu sa maîtrise sur le Front populaire dans la Marne et avoir vu sa nomination comme maître auxiliaire d’histoire au lycée Clémenceau annulée par le recteur, qu’il « s’établit » dans l’usine « Eau et feu » (tuyaux et mousse pour incendie) jusqu’en 1980 -sans obligation de l’organisation, comme le confirment d‘autres témoignages (p. 135-138).

Il milite donc dans un « noyau ouvrier », c’est-à-dire un groupe militant autour d’ouvriers de la même usine et de militants « extérieurs » établis ailleurs (là, l’auteur et son « équipe usine » SGF), avec une « école ouvrière » (p. 143-144). C’est le 6 juin 1977, pour la manifestation contre l’assassinat de Pierre Maître, qu’il affiche son militantisme, appelle à faire grève et à manifester avec tout le « pôle maoïste » de l’UCF sous la banderole « Contre les fascistes, Force révolutionnaire du peuple, Les maoïstes de l’UCFML » (p.133 et photo de la couverture). En 1980, s’ajoute la décomposition du noyau, qui, après avoir compté jusqu’à 12 membres en 1978, n’en a plus que 4 (p. 152-153). Après une petite année de maître-auxiliaire au LEP Yser, il intègre, par concours, la CPAM de la Marne au printemps 1981 (p. 129). De 1974 à 1984, toujours sur Reims, il intègre le groupe d’intervention culturelle « Eugène Pottier » tout comme il existe, notamment sur Paris (et Vincennes), le groupe « Foudre » et , plus tard, sur Lille le groupe « Degeyter ».

La troisième partie traite notamment des CPAC (Comités populaires anti-capitalistes), et de celui de Croix-Rouge, des élections municipales de 1977, du Groupe Lutte Santé, de l’internationalisme et du « combat antiraciste », plus particulièrement avec les grèves des loyers dans les foyers Sonacotra.

La quatrième de « la figure du militant » réaborde « les aspects de son existence [la sienne et celle de son organisation] qui peuvent encore aujourd’hui servir de points d’appui pour comprendre notre présent » (p. 264). Voulant établir la « carte d’identité de l’UCF », une des trois caractéristiques de ce militantisme étant la « capacité à s’immerger dans les mouvements sociaux » (ou « travail de masse », p. 281 et sq), l’auteur revient sur le féminisme et son ouverture du cycle de films de femmes organisé à Reims par le groupe Pottier en juin 1978 : « J’ouvre le cycle qui commence par le film de Coline Serreau [Mais qu’est-ce qu’elles veulent ?]. Mon entrée en matière est fracassante : « Nous, femmes marxistes-léninistes, trouvons que… ». Eclats de rire multiples, dans une salle bondée (250 personnes), et si je n’avais eu la grande sympathie de la majorité du courant féministe rémois, alors présent, je ne sais ce que je serai advenu » (p. 301-302). Nous y reviendrons concernant le second ouvrage.

L’auteur écrit bien, dans sa conclusion, que « tout est vrai », « tout a bien existé » (p. 405), mais il est bien difficile de témoigner sans « célébration en fidélité » (ce que l’auteur veut voir dans L’écharpe rouge d’A. Badiou, mise en scène par Antoine Vitez en 1984, p. 205)[4]. Là n’est pas le problème que pose cet ouvrage à nos yeux : la trentaine de témoignages recueillis et les archives privées de l’auteur … le restent. Or, un dépôt ou un don de ces archives, écrites et orales, en permettrait la découvrabilité, la citabilité, en un mot, l’accessibilité.

Répétons-le donc : au-delà de leurs usages différenciés des archives orales, que ce soit pour le témoin Joël Fallet ou l’historien Philippe Buton, le dépôt ou le don des archives utilisées (orales, mais aussi écrites) apparaît comme une nécessité épistémologique pour en permettre la découvrabilité, la citabilité, en un mot, l’accessibilité.

Jean-Philippe Legois

[1] Daniel Bensaïd, Une lente impatience, Paris, Stock, 2004, p. 7. Cité page 9.
[2] Et non « prévu en juin » comme l’écrit J. Fallet, p. 28. Cf. le site de l’Institut de Tribune socialiste.
[3] Alain Badiou, Harry Jancovici, Denis Ménétrey et Emmanuel Terray, Contribution au problème de la construction d’un parti marxiste-léniniste de type nouveau, Paris, Maspero, 1969, 56 p. Consultable sur Gallica :  https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4808769m (consulté le 8 septembre 2020).
[4] Page 82 (note 136), l’auteur mentionne « un ressenti assez différent du mien », celui de Francis Kutten, Les Cahiers du GERME, n°31, 2016, p. 43-93. Ph. Buton le cite également (p. 120, note 38) pour sa « version peu romantique des événements » concernant une manifestation violente à Reims.

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