lecture: Romain Vila, Les relations entre L(es)’UNEF et la CGT : méfiance, polarisation, convergence (mai 68-avril 2006)

Romain Vila, Les relations entre L(es)’UNEF et la CGT : méfiance, polarisation, convergence (mai 68-avril 2006). Mémoire de master Sciences des sociétés et de leur environnement, mention science politique, spécialité sociologie politique (2ème année). Sophie Beroud (dir.), IEP Lyon 2, 2008. 195 p. Retracer près de quarante ans de relations entre syndicalismes confédérés et syndicalismes étudiants n’est pas d’une facilité particulière. En effet, la CGT elle-même se transforme durant ces quatre décennies, avec une succession de générations militantes et les changements sociaux et politiques du pays, et, nous le savons bien, les transformations du côté des syndicalismes étudiants sont bien plus nombreux : faible durée d’une « génération étudiante », éclatements, disparitions, (re)naissances. Ce n’est ainsi pas la même CGT, ni la même UNEF que l’on étudie en 1968 ou en 2006 et l’un des grands mérites de ce mémoire est de rappeler les grands moments et les étapes pour donner des repères.

Romain Vila traite en trois parties du sujet, ou l’on passe d’une « relation de syndicalisme de classe et de masse » (première partie de 1968 à 1989), à une « relation de syndicalisme de transformation sociale » (deuxième partie de 1990 à 2006), pour achever dans une troisième partie une réflexion globale sur les cultures militantes, « entraves ou vecteurs des relations ».

Dans son introduction, Romain Vila se propose de répondre à la question « à quel point ces rapports ont été surdéterminés uniquement par des enjeux politiques, et quels sont les facters principaux ayant pesé sur différentes séquences de ces relations ? ». Pour ce faire, il s’appuie sur un travail d’archives, et de 25 entretiens auprès des présidents des UNEF et de responsables de la CGT durant cette longue période.

Les deux premiers chapitres nous offrent beaucoup d’éléments éclairant la chronologie des évènements, mettant en scène les acteurs individuels et collectifs dans leurs localisations sociales, historiques, organisationnelles. Nous avons ainsi la description – encore à approfondir et nuancer – d’une CGT passant de relations méfiantes vis à vis de l’UNEF en 1968, à des relations exclusives avec la branche dite «renouveau» de l’UNEF pour ensuite coopérer avec les deux UNEF ensuite unifiées dans une seule UNEF.

Mais c’est sans doute le troisième qui attire plus particulièrement notre attention. En effet, il s’intéresse autant aux effets des sociologies des bases sociales des protagonistes et à leurs effets sur les prises de position qu’aux explications souvent les plus utilisées par le « bon sens » de causes ne résidant  que dans les affiliations partisanes. Avec des tableaux sur les origines sociales et socialisation primaires et secondaires croisées de dirigeants syndicaux des UNEF et de la CGT, et d’anciens militants désormais engagés dans la CGT Romain Vila montre – avec la prudence qui s’impose au vu de la faible représentativité du panel – qu’au « fil du temps, le recrutements social des militants de la CGT et des UNEF a donc vraisemblablement convergé ». Ceci confirme ce que nous expliquions au colloque de janvier 2008 à Reims sur la plus grande proximité sociale entre étudiants et salariés même en 1968 allant à l’encontre de préjugé, y compris syndicaux[1]. Et le double phénomène de « massification » universitaire avec une « prolétarisation » du devenir étudiant (au sens de salariés subordonnés) d’une part, et de « desouvrierisation » du monde salarial (grâce en partie à l’apport des scolarisés dans les secteurs tertiaires) ne peut qu’augmenter les possibilités des convergences. Il n’y a cependant pas d’automatismes : la sociologie d’un milieu ne se traduit pas forcément par une représentation à l’identique dans ses ailes militantes, qui possèdent elles-mêmes des propriétés particulières. Et si le principe simplificateur de la « courroie de transmission » se heurte à la réalité d’une autonomie relative des organisations étudiantes, il faut s’attacher à cette relativité. Car les rapports de force dans la société, dans le champ syndical général pèse évidemment sur le champ syndical étudiant. Romain Vila l’indique, la CGT, via sa politique, contribue aussi à influencer le monde étudiant.

Puisqu’il s’agit de relations entre deux syndicalismes qui ne sont pas équivalents : l’un sert – courte période des études – d’expérience, d’entrée en matière, elle peut être prolongé ensuite dans l’autre syndicalisme. Romain Vila interroge le « taux de change du capital militant », cherchant l’existence éventuelle d’habitus similaires, qui peuvent être acquis dans chacun des syndicalismes, mais aussi au croisement des deux : militants trouvant du travail grâce aux municipalités amies, ou entreprises – telles celles du livre à Paris– où existait de fait un monopole à l’embauche de la CGT, ou dans l’entrecroisement de relations directes entre militants des unes ou des autres organisations.

Ce travail est à croiser avec ceux portant sur la socialisation et la formation militantes et, de ce point de vue, est complémentaire de celui de Camilo Argibay sur la MNEF, que nous avons commenté dans la précédente livraison des Cahiers (Camilo Argibay et Romain Vila sont, comme Emmanuel Porte, de l’IEP Lyon et du même laboratoire qui, grâce à Sophie Béroud notamment, est aujourd’hui le plus productif en notre matière). Il est aussi à relier avec les travaux qui s’intéressent aux rapports des mouvements étudiants et des syndicalismes de salariés, prenant la suite de la contribution de Philippe Pechoux sur les relations entre l’UNEF et la CGT jusqu’en 1962, publiée dans La CGT dans les années 50, en 2005 (PU de Rennes) – il manque une étude sur ces mêmes relations de 1962 à 1968. Il nous reste à confronter et croiser les regards concernant les différentes confédérations syndicales et leurs relations avec les différents mouvements étudiants, pour en dégager les points qui sont communs, et les spécificités particulières, la méthode comparative permettant de mieux comprendre les traits originaux de chacun des acteurs concernés.

Robi Morder.

Les Cahiers du Germe – N° 28 – 2009 



[1] Jean-Philippe Legois, Robi Morder, « De la liaison étudiants-ouvriers » Colloque GERME – Mission CAARME, « À la redécouverte des mouvements étudiants des années 68 », janvier 2008, Reims.

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