Georges Danton: 1935-2020

FR_BDICFP2923_00041958_N01P001_2

Editorial de G. Danton dans le journal de l’UNEF, mai-juin 1958. Coll. La contemporaine. Sur le site cme-u.fr

Nous avons appris aujourd’hui le décès de Georges Danton, ancien président de l’UNEF en 1958/1959. Nous avions publié la notice biographique rédigée par Alain Monchablon pour le Maitron (Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier/social) dans les Cahiers du Germe. Notre ami Eithan Orkibi dans Les étudiants de France et la guerre d’Algérie, Paris, Syllepse (collection Germe), 2012 aborde dans le chapitre 6 des aspects de l’UNEF sous la présidence de Danton.  En voici des extraits  : « Restaurer l’image de l’UNEF »

[A propos de la scission du MEF intervenue en 1957]

Exprimant son « espoir d’unité », le président de l’UNEF, élu lors du Congrès de 1958, Georges Danton, déclare que le MEF, qui se retrouve avec seulement six AGE, « avait déjà un pied dans la tombe[1] ».

C’est seulement à l’issue d’un CA extraordinaire, le 15 novembre 1958, en pleine préparation de la journée revendicative du 8 décembre et grâce à l’intervention du ministre de l’Éducation nationale, Maurice Herzog[2], que les six associations qui sont restées à l’intérieur du MEF réintègrent l’UNEF. La réunification est annoncée par un « protocole de réconciliation[3] » adoptant une définition assez restrictive de l’apolitisme du mouvement et confiant à l’UNEF « l’étude et la solution des problèmes qui concernaient directement l’étudiant tel qu’il est défini par la charte fondamentale du mouvement[4] ».

C’est pour prouver que le MEF ne parvient à faire peser aucune menace sur le statut de l’UNEF, que celle-ci est renforcée en octobre 1957 par un accord d’unité avec l’UGE[5]. Initiées en janvier 1957[6], les négociations entre ces deux organisations se poursuivent malgré la scission, et s’achèvent avant la rentrée par l’intégration des 15 000 adhérents de l’UGE à l’UNEF :

« Depuis longtemps, l’Union nationale des étudiants de France et l’Union des grandes écoles sont désireuses de parvenir à une unité. Elles constatent en effet que leur charte et, sur la plupart des points, leurs programmes, leurs objectifs syndicaux, leurs revendications sont communs.

[…] C’est un fait d’expérience que l’unité d’organisation a toujours servi la défense des intérêts d’un ensemble de catégories professionnelles[7]. »

En plus, l’UNEF devient progressivement une force de plus en plus dominante parmi les autres organisations de la jeunesse, assumant un rôle de coordination, une fonction officiellement confiée au Conseil français des mouvements de jeunesse. Son expérience syndicale et ses compétences de gestion, avec son « âme vigilante et contestatrice[8] » la placent également au centre (d’aucuns disent à la tête) du Comité de coordination du nouveau né GEROJEP (Groupe d’étude et de rencontre des organisations de jeunesse et d’éducation populaire). Cette association, dont le manifeste du 8 août 1958 s’oppose à « tout monopole de l’État et tout embrigadement[9] » et revendique l’indépendance des organisations de jeunesse par rapport aux partis politiques, représente la jeunesse française devant le pouvoir, surtout au sein du Haut-Comité (puis commissariat) de la jeunesse de France et d’Outre-Mer.

La scission ne pose donc aucune difficulté organisationnelle au bureau mino, au contraire. Tandis que le MEF est désormais isolé, le bureau mino célèbre le cinquantenaire de l’UNEF à sa manière, orchestre une série de campagnes revendicatives en collaboration avec les principaux syndicats universitaires, se joint aux autres forces sociales pour la « défense de la République » lorsque de Gaulle reprend le pouvoir en mai 1958.

[…]

La crise de mai 1958 et le retour de De Gaulle au pouvoir est un épisode remarquable. L’UNEF s’est préparée à une manifestation à Paris pour le 20 mai, informant les pouvoirs publics, par un télégramme daté du 16 mai 1958 : « UNEF informe gouvernement vive émotion et état d’alerte dans milieu étudiant. Étudiants disponibles pour participer à action énergique en vue de défense libertés syndicales et légalité républicaine[10] » et assurant une action « calme » et « digne[11] ». Or, le 20 mai à midi, le ministre de l’intérieur interdit la manifestation de l’UNEF et cette dernière organise une conférence de presse à la Sorbonne, à laquelle participent les représentants des syndicats universitaires. Georges Danton, président de l’UNEF, fait le bilan de cette journée à la une de L’Étudiant de France :

« Mais si l’UNEF devait protester, elle devait aussi rester dans le cadre qui est le sien, c’est-à-dire, le cadre syndical. C’est pourquoi nous avons refusé de nous associer à des manifestations politiques organisées par des mouvements politiques et sur lesquelles nous n’aurions eu aucun contrôle. C’est pourquoi, depuis le début de cette crise, le bureau de l’UNEF n’a pas cessé de travailler avec l’ensemble des syndicats enseignants et aussi avec l’ensemble des grandes centrales ouvrières. Devant une telle menace, le mouvement syndical, dans son ensemble, a un rôle fondamental à jouer et même si notre syndicalisme a une vocation un peu particulière et des caractères spécifiques, nous devions les faire taire et nous aligner sur l’ensemble des positions des centrales syndicales, leur but est le même que le nôtre, leur force est considérable, notre collaboration avec elles ne peut que renforcer le mouvement étudiant.

[…] L’UNEF continuera, dans les jours à venir, aux côtés des syndicats enseignants et en collaboration avec les syndicats ouvriers, à défendre les libertés qu’elle considère comme fondamentales[12]. »

Affirmer une représentativité

Une deuxième affirmation concerne la validité de l’UNEF en tant qu’organisation représentative. Dans la mesure où la scission marque la non-unité du mouvement, et par cela la représentativité désormais partielle de l’UNEF, le discours revendicatif va dès à présent insister, au contraire, sur le fait que l’UNEF représente tous les étudiants malgré la division. Plus concrètement, ce discours s’efforcera de montrer comment l’action de l’UNEF est menée en faveur de l’ensemble du monde étudiant. Après son élection comme président de l’UNEF, Georges Danton souligne que :

« Le syndicalisme étudiant continue, seule l’UNEF le représente, seule l’UNEF peut défendre les intérêts de tous les étudiants, chacun en a conscience et c’est parce qu’elle a travaillé et qu’elle a accru sa compétence depuis un an que l’UNEF refera l’unité[13]. »

Une grande partie du discours revendicatif de l’UNEF est formulée de manière à refléter ce souci de l’UNEF de défendre les intérêts de l’étudiant tel qu’il est. Ainsi, les revendications sont « décomposées » en éléments plus concrets et tangibles. Lisons, par exemple, un tract distribué en décembre 1958 :

« Étudiant ! Pour qui te prend-on ?

– Tu perds trop de temps à t’inscrire en faculté et aux restaurants, à chercher une chambre ;

– Tu manges en dix minutes, parce qu’il n’y a pas de place dans les restaurants ;

– Tu n’as que sept chances sur cent d’être admis dans une cité et quinze sur cent d’avoir une bourse à un taux ridicule ;

– Tu partages avec 170 000 autres étudiants de crédits, des locaux, des maîtres, à peine suffisants pour 60 000 étudiants ;

Dans quatre ans nous serons 250 000. Il nous faudra quatre fois plus de crédits[14]. »

[…]

Un exemple particulièrement représentatif du premier niveau se trouve dans l’appel au général de Gaulle, publié à la veille de la journée revendicative du 12 décembre 1958 :

« Conscients d’appartenir à la jeunesse du pays, c’est pour elle, et avec elle, que nous demandons des investissements dont la Nation toute entière tirera un bénéfice inappréciable. Chacun se loue de l’intérêt présenté par l’essor démographique que la France connait depuis douze ans. Cet intérêt s’est traduit, en particulier, par la mise en œuvre d’une politique d’allocations familiales. Cet essor demandait que soit élaborée, corollairement et consécutivement, une politique de la jeunesse. Mais une telle exigence n’a jamais été satisfaite.

Pour nous, une politique de la jeunesse est, en premier lieu, une politique scolaire, seul moyen d’adapter les jeunes, et par conséquent la nation, à un monde en perpétuelle et rapide évolution. Si l’on veut que, demain, les jeunes tiennent, dans la nation, un rôle que celle-ci est en droit d’attendre d’eux, si l’on veut que la France soit capable de faire face aux tâches qui sont les siennes, tant au point de vue technique, économique, social, que politique, il est temps d’admettre que refuser d’investir pour la jeunesse et pour son éducation, c’est faire peser sur l’avenir du pays une dangereuse hypothèque.

[…] Il faut tenir compte encore des jeunes qui n’ont pas eu la possibilité de poursuivre des études et aussi des adultes qui voudraient perfectionner leurs connaissances ou en acquérir de nouvelles.

[…] Les éléments de solution que nous préconisons nous paraissent indispensables à l’instauration d’une politique de la jeunesse qui vise à former des jeunes libres et responsables, des jeunes adaptés à un monde qu’ils ont à bâtir, et qui ne soient pas désabusés par des causes sans grandeur.

Il appartient aux responsables de ce pays de ne pas décevoir l’espoir de sa jeunesse. Notre pays a longtemps été au premier rang de la recherche et de la découverte, mais il a perdu cette place d’honneur. Il demeure encore un foyer de culture ouvert aux peuples du monde, mais il ne trouve plus de crédits ni les hommes nécessaires pour représenter cette culture. Devra-t-il longtemps courir le risque de devenir un pays intellectuellement attardé ? La véritable grandeur de la France est son rayonnement culturel. La jeunesse de France veut que lui soient donnés les moyens de la sauvegarder[15]. »

Cet extrait place les revendications de l’UNEF dans une optique plus générale. En plus d’une référence directe aux « jeunes qui n’ont pas eu la possibilité de poursuivre des études », il encadre aussi les problèmes étudiants comme un aspect visible des relations entre la jeunesse et le pouvoir, et de ce fait présente les revendications étudiantes comme faisant partie intégrante des revendications des jeunes. Ainsi, la « jeunesse » devient un thème récurrent dans le discours revendicatif de l’UNEF, et figure dans la liste de sa même journée revendicative :

« Réintégrer les jeunes dans la nation.

La société actuelle laisse peu de place à l’initiative des jeunes. Pourtant, ils font partie intégrante du pays. Leur étouffement entraîne l’assoupissement du corps politique.

– Ils ne sont pas un public électoral intéressant.

– Les problèmes généraux sont traités sans que leur aspect « jeune » intervienne.

– Les problèmes spécifiquement jeunes (enseignement, orientation professionnelle, service militaire, embauche, équipement culturel et sportif, etc.) ne sont généralement pas traités.

D’autre part, certains songent à utiliser l’extrême sensibilité des jeunes à tout ce qui peut faire éclater le cadre traditionnel.

Il faut protéger la jeunesse des faux et faciles enthousiasmes.

Il faut lui assurer l’indépendance et la responsabilité.

L’UNEF lutte pour mettre en place des structures qui donnent aux jeunes toutes possibilités d’épanouissement dans la communauté nationale et qui leur permette l’apprentissage de la responsabilité[16]. »

Sur le plan plus diachronique, prendre la parole « au nom de l’étudiant de demain », permet aussi à l’UNEF de renforcer la légitimité de la revendication. Si, empiriquement, elle vient d’une organisation qui ne regroupe qu’une partie de la population étudiante, elle avance néanmoins une cause qui est par nature partagée par tous.

[…]

 Affirmer l’opposition

[…]

Au mois de décembre 1958, c’est le terme de « carence » qui est au centre d’un échange entre le président de l’UNEF et le général de Gaulle :

« Aujourd’hui, nous croyons de notre devoir de porter à votre connaissance l’inquiétude des étudiants devant l’absence d’une politique cohérente et à long terme dans le domaine scolaire et universitaire. Ayant voulu, à plusieurs reprises, il y a quelques mois, saisir Monsieur le ministre de l’Éducation nationale de cette carence, cela ne nous fut pas permis.

[…] L’urgence est telle qu’il n’y a pas de délais pour agir. Car, nous en sommes persuadés, il s’agit, pour la France, d’une question de vie ou de mort. Nous savons que nous ne profiterons pas nous-mêmes des mesures qui pourront être prises. Mais l’accroissement actuel – nécessaire – de la population étudiante nous fait redouter de voir nos camarades, toujours plus nombreux contraints de faire des études dans des conditions encore plus désastreuses que sont les nôtres.

[…] Nous appelons, le 10 décembre, tous les étudiants de France à manifester leur accord avec nos revendications. C’est en leur nom à tous que nous lançons cet appel[17]. »

Une réponse est immédiatement expédiée au bureau de l’UNEF, où le Général dénonce le vocabulaire des étudiants :

« Je ne saurais admettre que le président de l’Union nationale des étudiants de France vienne, à cet égard, me parler d’une « carence ».

Les manifestations auxquelles se livrent les étudiants sont, peut-être, de nature à leur donner à eux-mêmes le change sur ce qui est souhaitable par rapport à ce qui est possible. Mais cela ne contribue en rien à la solution du problème[18]. »

Bien que ce dialogue ne soit pas particulièrement hostile, c’est le fait de l’avoir poursuivi – et publié[19] – qui rend les rapports entre les étudiants et les pouvoirs publics tendus, sinon antagoniques. De toute façon, il semble que, pour la première fois, l’UNEF peut concrétiser sa lutte en ciblant ouvertement des personnes ou organisations à qui le mouvement attribue la responsabilité du problème et contre qui la protestation est dirigée. Il s’agit tout d’abord du Général de Gaulle, mais non moins du ministre de l’Éducation nationale, Jean Berthoin, qui propose, selon L’Étudiant de France, une réforme « bâtarde[20] », et d’Antoine Pinay, ministre des finances, qui, « refusant toute augmentation de crédits nous a condamnés à la stagnation pour un an encore[21] ». En tant que cibles, ces personnages figurent dans la première caricature de ce genre sur les pages de L’Étudiant de France (Berthoin), et apparaissent dans une image quelque peu moqueuse qui les regroupe tous trois :

[1] « Après un an de scission – espoir d’unité », L’Étudiant de France, n° 6, avril-mai-juin 1958, p. 2.

[2] Cf. Jean Papillon, « Réunification du mouvement étudiant », Le Figaro, 17 novembre 1958.

[3] Voir annexe.

[4] « Protocole de réconciliation », s.d., CAC 19870110/050.

[5] « C’est à juste titre que l’on a interprété la fusion de l’UGE avec l’UNEF comme une désapprobation de la scission du Congrès de Pâques », écrit Jacques Martinais, vice-président d’outre-mer de l’UGE dans L’Étudiant de France, n° 2, novembre 1957, p. 8.

[6] Voir une lettre du président de la Fédération de l’est de l’UGE et du président de l’AGE de Nancy au président de l’UNEF, où un brouillon de manifeste d’unification est suggéré par les participants aux conversations entre les deux organisations (l’UNEF est représentée, entre autres, par François Borella), 26 janvier 1957, CAC 19870110/344.

[7] « Protocole d’accord sur l’Unité entre l’UNEF et l’UGE », sd, CAC 19870110/344.

[8] Ludivine Bantigny, Le plus bel âge ? Jeunes et jeunesse en France de l’aube des « Trente Glorieuses » à la guerre d’Algérie, Paris, Fayard, 2007, p. 212.

[9] Repris dans un communiqué de presse, 8 octobre 1958, CAC 19870110/027.

[10] « Le film de l’action de l’UNEF », L’Étudiant de France, n° 8, avril-mai-juin 1958, p. 8.

[11] Cf. plusieurs lettres envoyées par Georges Danton, président de l’UNEF, à Pierre Pflimlin, président du Conseil des ministres, 15 et 16 mai 1958 ; à René Coty, président de la République et de l’Union Française, 16 mai 1958 ; à M. Edgar Faure, ministre de l’intérieur, 16 mai 1957 ; à Jacques Bordeneuve, ministre de l’Éducation nationale, 16 mai 1958, CAC 19870110/129.

[12] Georges Danton, « Tous les syndicats se sont dressés pour la défense des libertés », L’Étudiant de France, n° 6, avril-mai-juin 1958, p. 1, nous soulignons.

[13] Georges Danton, « Un espoir d’Unité », L’Étudiant de France, n° 6, avril-mai-juin 1958, p. 2, nous soulignons.

[14] « Étudiant ! Pour qui te prend-on ? », tract, décembre 1958, CAC 19870110/087.

[15] Appel au  général de Gaulle, 6 décembre 1958, CAC 19870110/028, nous soulignons.

[16] « Nos revendications », L’Etudiant de France, n° 7, juillet-août-septembre 1958, p. 1.

[17] Président de l’UNEF au général de Gaulle, 4 décembre 1958, attaché à circulaire aux présidents, 13 décembre 1958, CAC 19870110/028.

[18] De Gaulle au président de l’UNEF, attaché à la circulaire aux présidents, 10 décembre 1958, CAC 19870110/028.

[19] Dans « De Gaulle-UNEF : un dialogue décevant », L’Étudiant de France, nouvelle série, n° 1, janvier 1959, p. 2, mais aussi dans la presse générale. Cf. « La controverse de Gaulle-UNEF », Combat, 15 décembre 1958 ; « De Gaulle et l’Université », France Observateur, 18 décembre 1958.

[20] « Menaces sur deux fronts : on prépare une réforme bâtarde ! », L’Étudiant de France, n°8, octobre-novembre-décembre 1958, p. 1.

[21] Georges Danton, « 1959 : faut-il attendre 1960 ? », L’Étudiant de France, nouvelle série, n° 1, janvier 1959, p. 1.

Print Friendly, PDF & Email
(Comments are closed)