lecture: Camilo Argibay, La MNEF, une école du pouvoir

ARGIBAY, Camilo, La MNEF, une école du pouvoir, mémoire de master « sciences des sociétés et de leur environnemen », option sciences politiques, IEP Lyon, 2005, Professeur Renaud Payre (dir). La Mutuelle nationale des étudiants de France, et plus globalement le mutualisme étudiant, ont fait l’objet de peu d’études universitaires : nous avions la thèse de Jacques-Antoine Gau, œuvre juridique dont la première partie intéresse la génèse, et bien plus modestement notre article publié dans les Cahiers du Germe, qui avait comme simple ambition de stimuler de nouvelles recherches en la matière. Avec le mémoire de Camilo Argibay, c’est une nouvelle pierre – et de taille – apportée aux bases de l’édifice.

Camilo Argibay prend la MNEF certes comme mutuelle, mais aussi comme un « objet politique », replaçant le parcours des dirigeants dans le contexte de recrutement politique massif lié à l’arrivée au pouvoir des socialistes en 1981 et s’interrogeant sur l’apport de l’expérience mutualiste et la manière dont ce passage à la MNEF « favorise l’entrée en politique ».

L’auteur a pu – de manière quasi miraculeuse- accéder aux archives de la MNEF séquestrées par le liquidateur judiciaire- et ainsi pu en consulter l’inventaire et reconstituer la composition des bureaux nationaux de 1970 à 1995. Par l’étude des annuaires politiques  (le Who’s who in France, le Guide de profession politique, le Bottin administratif) sur les 21 ans de « pouvoir socialiste quasiment ininterrompu » (1981-2002) Camilo Argibay a pu retrouver le parcours public de 32 dirigeants de la MNEF.  Le moment de la recherche – proximité avec « l’affaire MNEF », a sans doute provoqué des réticences de la part des acteurs pour rencontrer le chercheur, puisque seuls un député et un sénateur, anciens vice-président et président de la mutuelle, ont accepté de se plier à un entretien.

Camilo Argibay souligne bien les deux formes à la fois liées et différentes des engagements syndicaux (essentiellement l’UNEF puis les UNEF) et mutualistes. Dans le rapport au politique, 1981 constitue bien un basculement. En effet, si auparavant les dirigeants de la MNEF peuvent fréquenter – place institutionnelle oblige – les allées du pouvoir, puisque c’est avec le pouvoir politique (ministères) qu’il y a négociation/confrontations, ils se situent dans l’opposition, dans le principal parti parlementaire à gauche, le parti socialiste. L’arrivée de leur parti au pouvoir en 1981 change effectivement la donne, avec l’augmentation de l’offre de postes possibles. Les grandes filières  de recrutement socialistes sont connues : la fonction publique (dont nombre d’enseignants), les milieux partisans, associatifs et syndicaux. Qu’en est-il pour la MNEF ? Camilo Argibay, avec les précautions nécessaires, explique qu’il ne prend comme corpus que celui des 99 membres des BN au cours de 25 ans. 32 (soit près d’un tiers du corpus) ont eu une carrière politique ou publique. Il note que c’est chez ceux qui ont eu une période plus longue de responsabilité à la MNEF que la propension à la « carrière politique » est plus forte (15% pour ceux qui sont restés au maximum un an au BN, 40% pour ceux qui y ont siégé plus longtemps), et l’on retrouve les mêmes caractéristiques selon le nombre de BN auxquels ils ont participé. Chez les 9 présidents de la MNEF, 44% ont connu une carrière politique. Camilo Argibay note que la MNEF apparaît comme un « vivier important du personnel des cabinets ministériels » avec 10 personnes impliquées.

Pour Camilo Argibay, la MNEF apparaît ainsi comme un tremplin pour le moins, porte d’entrée vers le monde politique pour certains, étape clé dans la carrière politique pour d’autres. Ecole de formation politique, elle est aussi une école de la gestion publique, constituant également un réseau de socialisation politique articulant notamment MNEF, UNEF, PS.

Nous avons pu lors du colloque de novembre 2006 à Lyon, discuter de quelques critiques que l’on peut apporter, invitation à aller de l’avant.

Il faudrait sans doute distinguer ce qui relève de la « carrière politique » nationale (parlementaires, ministères, direction nationale de parti), de la carrière subordonnée (cabinet ministériel), d’autant que dans le mémoire les précisions sont apportées. Et, comme pour l’UNEF, on s’apercevra qu’il y a finalement peu d’élus en la matière. Finalement, dix membres de cabinets ministériels en 20 ans, en comparant avec l’ensemble des membres des cabinets ministériels au cours de la même période (aux alentours de quelques centaines, près d’un millier au total ) c’est assez faible. Les grandes écoles, la haute fonction publique, les réseaux partisans sont sans doute plus fertiles.  De la même façon, il serait intéressant de voir ce que deviennent les deux tiers des membres des BN que Camilo Argibay n’a pu étudier… mais pour ce faire il faudrait disposer d’instruments et de moyens bien plus importants, dont le chercheur ne disposait pas. Le prisme du local (membres des conseils des sections locales) qui était celui adopté par Jean-Yves Sabot dans sa thèse pour Grenoble et Dijon, permettrait aussi de voir les carrières locales – politiques, administratives, associatives, mutualistes. L’intitulé du travail est de ce point de vue judicieux, non pas l’école, mais une école du pouvoir, ce qui implique qu’il y en a d’autres. Les entretiens et commentaires permettent ainsi de voir comment dans chaque trajectoire biographique il y a différents lieux de formation, d’acquisition de compétences, de connaissances, d’insertion dans des réseaux d’inter-connaissane (parti, syndicat, mutuelle, association, institutions électives, paritaires et, bien sûr, études poursuivies et écoles…). La difficulté réside dans la possibilité d’isoler un des espaces des autres pour en étudier l’apport particulier.

Cette difficulté, Camilo Argibay a pu en partie la surmonter. Le mérite de ce mémoire de master, outre les données inédites utilisées, c’est d’une part de contextualiser (l’accès du parti socialiste au pouvoir en 1981), et de souligner l’apport spécifique du mutualisme en termes de compétences gestionnaires. Souhaitons que d’autres travaux s’engagent sur les pistes ainsi ouvertes.

Robi Morder

Les Cahiers du GERME n° 27 – 2008

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