L’Union des Grandes Ecoles de 1947 à 1971

L’objet de ce séminaire n’est pas de faire une histoire complète et exhaustive de l’UGE. Il s’agit d’essayer de répondre au moins partiellement à certaines questions concernant une organisation relativement originale au sein du mouvement étudiant, celle-ci n’étant ni une AGE, ni un office de l’UNEF, ni un mouvement politique[1].

Nous savons tous que la mémoire étudiante est extrêmement parcellaire et un des objectifs du GERME est de la rétablir. S’il reste quelques traces de l’action de l’UNEF dans la mémoire des militants étudiants d’aujourd’hui, l’UGE semble quant à elle, avoir été complètement oubliée. Pour ceux qui ont entendu parler de l’UGE, ils confondent volontiers et souvent à juste titre, son histoire avec celle de l’UNEF. Ce qui nous intéresse donc dans le cadre de ce séminaire, ce sont les raisons pour lesquelles une telle organisation s’est créée et a fonctionné pendant plus de 20 ans.

I – LE TERRAIN D’INTERVENTION DE l’UGE

L’observation du terrain d’intervention de l’UGE, peut nous permettre de comprendre l’originalité et donc l’origine de l’organisation des élèves de Grandes Ecoles. Il faut donc revenir sur la définition des Grandes Ecoles et de la place qu’elles occupent dans la société. Ensuite nous montrerons qu’il existe une forte structure associative dans les Grandes Ecoles. Enfin nous ferons l’état de nos connaissances sur l’origine de l’UGE.

  1. l) Pourquoi, il y a t’il une Union des Grandes Ecoles et pourquoi s’est-elle créée indépendamment de l’UNEF ?
  2. a) Les Grandes Ecoles

Qu’est-ce qu’une Grande Ecole ? Il faut d’abord souligner que cette question a été l’objet de débats, parfois houleux, pendant les premières années d’existence de l’UGE. Définir une Grande Ecole, c’est définir le champ d’intervention syndical de l’UGE. Plusieurs critères rentrent dans la définition des Grandes Ecoles, il s’agit des aspects politiques, sociaux et scolaires.

Les premières Grandes Ecoles ont été créées par les pouvoirs publics dès la fin du XVIIIème siècle. Mais c’est aux XIXème et XXème siècles qu’elles se développent et se multiplient.  Napoléon avait fait des Grandes Ecoles des institutions centrales dans la formation des élites. Ainsi, il va leur donner trois grandes fonctions :

– Une fonction utilitaire. Elles doivent alors fournir une formation professionnelle dans des domaines spécialisés (armée, technique et enseignement) que ne pouvaient fournir, à l’époque, les universités.

– Une fonction politique. Les Ecoles sont des organismes donnant allégeance à l’Etat. Cela a été le cas avec Polytechnique.

– La troisième fonction, découlant de la deuxième, est la contribution des Ecoles à l’ordre et à la stabilité politique. Il s’agit donc d’un outil de la puissance publique.[2] L’ensemble des régimes ayant succédé à l’Empire, ont continué à utiliser les Grandes Ecoles comme un outil au service des pouvoirs publics. La création de l’ENA en 1945, rentre dans ce cadre. Nous avons, d’ailleurs retrouvé un exemple précis de cette utilisation. En novembre 1947, Jules Moch, alors ministre de l’intérieur fait appel aux élèves des Grandes Ecoles pour remplacer les ouvriers en grève, notamment à l’EDF. Pour cela, il s’adresse à l’UGE qui diffuse l’appel dans son journal Affluents. Il s’agit donc d’un bel exemple de l’utilisation des Grandes Ecoles par la puissance publique.

Une des caractéristiques des Grandes Ecoles est leur recrutement social, celui-ci est très restreint. On trouve peu d’enfants d’ouvriers ou de paysans et très peu de filles. L’élève en Grande Ecole est généralement un garçon issu d’un milieu social élevé[3].

Quant au niveau scolaire des Grandes Ecoles, il s’agit d’établissements d’enseignement supérieur, délivrant des diplômes du niveau du deuxième ou troisième cycle universitaire. Ce sont des établissements sélectifs (généralement une préparation et un concours). Ils sont de petite taille (entre l00 et l000 élèves). Ils sont fortement liés au milieu professionnel.

Il y existe une grande variété de formations (technique, commerciale, administrative, artistique, militaire…), de statut (public, privé ou dépendant des chambres de commerce), de ministères de tutelle (l’UGE en comptabilise six en 1967[4]). Par ailleurs, il existe une forte concurrence entre les établissements, ce qui permet d’établir une hiérarchie. La place de l’école, dans cette hiérarchie, dépend de son rayonnement tant dans le recrutement que dans les débouchés. Enfin il faut souligner que ce sont des établissement qui se caractérisent souvent par une opposition au système « facultaire ». On considère avant 1968, dans les Grandes Ecoles, que les facultés fournissent une formation théorique alors que les Grandes Ecoles offrent des formations pratiques et de très haut niveau. Pour les directions d’Ecole, les anciens élèves et parfois les pouvoirs publics, les facultés sont jugées incontrôlables par les classes dirigeantes alors que les Grandes Ecoles sont comme le disait Pompidou en 1969 : « Le port d’attache le plus sûr de l’Université ».

Sur beaucoup de plans, il y a donc séparation entre le milieu Grandes Ecoles et le milieu universitaire. Pour ceux qui dirigeaient les Ecoles, il n’était donc pas question de les intégrer à l’Université. Au contraire les directeurs d’Ecole et les anciens élèves exaltent le sentiment de supériorité des élèves sur les autres étudiants. Ils tentent de développer un esprit de corps, voir de clan. Appartenir à une Grande Ecole, c’est déjà appartenir à l’élite de la nation.

Le dernier élément qui distingue les Grandes Ecoles de l’Université, c’est le nombre relativement faible d’élèves par rapport au nombre d’étudiants. l’UGE estime à 20 000 le nombre d’élèves en 1947 et à 50 000 en 1970. Magliulo, plus large, l’estime à 32 000 en 1950 contre 85 000 en 1971. Ces différences de chiffres étant révélatrices à elles seules, de la difficulté à établir une définition stricte des Grandes Ecoles.

  1. b) Les associations d’élèves

Dans ce cadre, et par bien des égards, les associations d’élèves, peuvent apparaître comme un outil de la direction de l’Ecole ou des anciens. Cette association d’élèves qui est pourtant la structure de base de l’UGE, propose un certain nombre d’activités culturelles et de détente qui doivent renforcer cet esprit de corps (bals, revues, clubs divers et parfois en liaison avec la spécialité de l’Ecole, journal qui mettra en valeur les industries dans lesquelles vont travailler les futurs ingénieurs). Par toutes ces activités de plus en plus ouvertes sur le public (HEC montre la voie), l’association d’élèves cherche à mettre en valeur l’Ecole auprès des futurs employeurs et du public en général. Cet esprit de corps est plus fort encore lorsqu’il y a un internat. Les Arts et Métiers en sont un bon exemple, ils conservent encore aujourd’hui de fortes traditions comme le bizutage (dont la violence est dénoncée par l’UGE dès les années 1960) qui est une initiation à l’entrée dans un groupe. L’association d’élèves contribue donc à faire de l’élève en Grande Ecole, un étudiant différent.

L’ensemble de ces particularités propres aux Grandes Ecoles expliquent donc, en partie, les raisons pour lesquelles les élèves, en 1947, refusent de s’associer à l’UNEF.

2) Les origines de l’UGE

  1. a) La création de l’UGE

Après avoir fait cette mise au point nécessaire pour mieux comprendre ce qui différencie les Grandes Ecoles du reste du système universitaire, venons-en aux conditions dans lesquelles l’UGE s’est créé en 1947.

En 1946, les Grandes Ecoles ne prennent pas part directement à la restructuration du mouvement étudiant autour de l’UNEF. Au congrès de Grenoble, seuls les Beaux-Arts et les ENS ont une représentation. Les Grandes Ecoles parisiennes d’ingénieurs n’apparaissent pas parmi les participants au Congrès[5]. Pourtant, ces mêmes Grandes Ecoles avaient une représentation au sein de l’AGE de Paris avant la guerre. Malgré cette absence de représentation qui reste à confirmer et à expliquer, les élèves des Grandes Ecoles semblent animées du même esprit d’union que l’ensemble des étudiants et souhaitent participer à la reconstruction du pays, d’autant qu’ils sont conscients d’être la future élite du pays. C’est pourquoi des élèves décident en 1946 de créer un Cercle Social et Economique Inter Ecole (CSEIE). Nous avons réuni très peu d’informations sur cette association. Il semblerait cependant qu’elle ait été créée à l’initiative de huit écoles parisiennes en 1946. Nous savons avec certitude que cette association s’est dotée d’un journal mensuel, Affluents, qui outre des rubriques consacrées aux arts, aux sports et à la vie dans les écoles nous apprend quelles sont les objectifs du CSEIE. Ce cercle a pour souhait de renforcer les liens entre Ecoles rivales, notamment par la recherche centralisée de stages et l’organisation de voyages à l’étranger. Cette association est en fait la première mouture de l’UGE. Nous n’avons pas de documents établissant un lien direct entre le CSEIE et l’UGE. Mais cette dernière en 1947 au moment de sa création reprend Affluents en l’état. Les conditions dans lesquelles l’UGE est apparue sont encore incertaines. Nous savons qu’en avril 1947, lors de son 36ème congrès, l’UNEF appelle les élèves en Grandes Ecoles à rejoindre l’organisation étudiante. En réaction à cet appel, des délégués de Grandes Ecoles présents à ce congrès décident alors, d’organiser une assemblée des Grandes Ecoles en juin 1947. C’est à l’occasion de cette assemblée qui regroupe des représentants d’une soixantaine d’Ecoles, que l’UGE est fondée. C’est dans Affluents n°1 nouvelle série de novembre 1947 que nous retrouvons les objectifs que s’étaient fixés les participants à la réunion du 22 juin 1947 :

« l’UGE prend en charge la défense des intérêts matériels et moraux de ses membres sur les plans corporatif, représentatif et culturel, des élèves des Grandes Ecoles.

SUR LE PLAN CORPORATIF, elle s’efforce d’améliorer par tous les moyens en son pouvoir les conditions de vie et de travail des élèves des Grandes Ecoles, dans leur école et à la sortie de celle-ci.

SUR LE PLAN REPRESENTATIF, elle recueille, étudie et présente aux autorités intéressées les revendications ou les doléances de ceux de ses membres pour qui un régime spécial n’est pas appliqué. Elle représente les élèves des Grandes Ecoles dans toute manifestation ou Congrès les intéressant collectivement.

SUR LE PLAN CULTUREL, elle s’efforce par des voyages, des conférences, des sessions d’études, de favoriser la compréhension des problèmes nationaux et internationaux.

Elle met tout en œuvre pour promouvoir :

Un esprit de compréhension et de collaboration réciproque entre étudiants recevant dans leur Ecoles respectives des formations différentes.

Enfin, elle lutte contre le pessimisme qui règne parmi les jeunes en leur faisant, connaître les réalisations françaises dignes d’intérêt ou d’admiration. Elle veut recréer une atmosphère de sain optimisme nécessaire à l’avenir du pays. »

Jusqu’en Janvier 1948, date du premier congrès, l’UGE précise ses objectifs. Dans Affluents n°2 de décembre 1947, deux articles tentent de donner le sens de la création de l’UGE. Ainsi, le but est de créer un esprit Grande Ecole. l’UGE lutte contre l’individualisme et la concurrence existant entre Ecoles. Elle souhaite unir le dynamisme des promotions d’élèves afin de donner une meilleure cohérence de l’enseignement supérieur technique pour mieux le représenter auprès des pouvoirs publics.

La priorité pour les fondateurs de l’UGE est donc de mettre fin à la concurrence existant entre les Ecoles. On comprend mieux, pourquoi, les élèves en Grandes Ecoles ne souhaitent pas alors être intégrés à l’UNEF. Chaque Ecole représente un petit nombre d’étudiants, chacune ne représenterait alors qu’un poids infime au sein de l’UNEF. La création de l’UGE a donc sa raison d’être pour permettre aux Grandes Ecoles de constituer un groupe uni au sein du mouvement étudiant. Quant au caractère syndical de l’UGE, il ne prendra effet que plusieurs années après sa création. Enfin, il faut signaler le rôle joué par la Chambre de Commerce de Paris dans les premières années de l’UGE. Celle-ci est logée par cette Chambre de Commerce et ne semble pas payer de loyer avant 1957, date d’intégration de l’UGE dans l’UNEF. Sur cette question du financement et de la création de l’UGE, des recherches restent à faire.

Il reste encore de nombreuses incertitudes sur les origines de l’UGE. Il y aurait notamment un gros travail de recherche à faire sur l’histoire des associations d’élèves, leurs relations avec l’UNEF et avec les directions d’Ecole. Cette étude permettrait de mieux comprendre les raisons pour lesquelles l’UGE a été créée. Nous avons par contre beaucoup plus d’informations sur la période qui suit la création de l’UGE, puisque les archives concernent essentiellement la période 1950 – 1971.

  1. b) La mise en place d’une identité UGE

Avant d’évaluer le développement de l’UGE dans les années 1950 et 1960, il nous faut d’abord préciser dans quelles conditions les Ecoles deviennent membres de l’UGE. Rappelons que l’UGE est une association d’associations. Cela signifie que l’on n’adhère pas directement et individuellement, il faut obligatoirement passer par une association déjà membre de l’UGE. Cela lui permet de contrôler que les membres de l’organisation sont bien issus d’une Grande Ecole. Mais le problème qui se pose alors, est de savoir quelle Ecole est en droit d’obtenir le titre de Grande Ecole. Nous n’avons pas de trace de discussion à ce propos au moment de la création de l’UGE et il ne semble pas qu’il y ait eu de problèmes pour accepter toutes les Ecoles présentes à l’assemblée de juin 1947. C’est en mai 1949 que les dirigeants posent, pour la première fois le problème de la définition d’une Grande Ecole. En fait, définir ce qu’est une Grande Ecole, devient pour l’UGE rapidement important. Il s’agit en effet d’établir quel est son champ d’intervention. Comme le souligne d’ailleurs un dirigeant, en 1951 : « de la question du champ d’intervention dépend l’existence de l’UGE ». Ainsi le président de l’UGE pose la question en termes de choix pour lancer le débat au sein de 1 ‘organisation :

« – Les étudiants ont tous les mêmes problèmes, un seul syndicat suffit (sous-entendu l’UNEF)

– Les élèves des écoles ont des problèmes particuliers, toutes les écoles doivent être alors défendues. Si les élèves, uniquement d’un nombre restreint d’écoles dites « Grandes Ecoles », ont des problèmes propres, il faudra un regroupement plus restreint que l’UGE. »

En fait la première solution, sur l’existence d’un syndicat unique ne sera pas envisagée avant les années 1960. Seuls peut-être au sein de l’UGE, le cartel des ENS ou Sciences-Po, peuvent opter pour ce choix. Ce qui explique que ces écoles n’ont conservé que des relations intermittentes avec la direction de l’UGE. Le clivage se fait donc entre ceux qui sont favorables à une UGE ouverte et large et ceux qui au contraire sont pour une UGE d’élite, ne rassemblant que les plus grandes écoles. La tendance favorable à l’ouverture, met en avant deux arguments pour l’ouverture de l’UGE : le devoir syndical envers les petites écoles et la puissance du nombre qui renforcerait l’UGE. La tendance élitiste met au contraire en garde contre le danger du manque d’homogénéité et du risque de scission. Les membres de cette tendance craignent que l’on perde l’esprit Grande Ecole et que l’UGE évolue vers une tendance « facultaire ». En acceptant toutes les Ecoles à l’UGE, celle-ci risque de perdre son prestige et sa cohérence face aux pouvoirs publics. Il faut d’ailleurs préciser qu’à partir de 1951, l’UGE possède une très bonne image auprès des Grandes Ecoles. Par exemple Agro Toulouse ou Chimie Mulhouse demandent à adhérer à l’UGE sans connaître l’organisation mais en espérant obtenir grâce à cette adhésion, le « label Grande Ecole ». On a également l’exemple d’un jeune ingénieur issu d’une petite école qui demande à l’UGE si il peut signaler sur son C.V. que son Ecole est à l’UGE, ce qui lui faciliterait une meilleure embauche. C’est cette reconnaissance que craignent de perdre, certains membres de l’UGE.

Pendant deux ans, de 1951 à 1953, les débats au C.A ou en A.G., bloquent toute nouvelle adhésion. C’est au congrès de 1953 que les deux tendances arrivent finalement à un compromis. L’A.G. de 1953 prend deux grandes décisions. Elle créé un Comité Supérieur d’Admission chargé d’étudier les Ecoles dont l’association sollicite l’adhésion. Ce C.S.A. est composé de trois anciens membres de la direction de l’UGE et de trois membres du C.A. en exercice. L’A.G. créé également une sorte de salle d’attente pour les écoles qui n’ont pas le niveau universitaire suffisant pour être qualifiées de Grandes Ecoles, mais qui ont besoin d’être défendues et informées. Cette « salle d’attente », appelée deuxième tranche, permet aux écoles de bénéficier des activités de l’UGE, sans avoir le droit de vote en assemblée. Certaines écoles, généralement nouvellement créées doivent avant d’entrer dans l’UGE pouvoir faire la preuve qu’elles ont acquis un rayonnement suffisant et que leur association d’élèves est réellement active. Il est intéressant d’étudier l’évolution du C.S.A et de ses critères d’admission. Précisons toutefois qu’il n’a qu’un rôle consultatif et que c’est l’Assemblée Générale qui reste souveraine. Dans les premières années de son fonctionnement le C.S.A. observe d’abord le niveau scolaire de l’établissement et son rayonnement dans la région d’existence et dans le reste du pays. Nous entendons par rayonnement, la capacité de l’école à attirer des candidats à l’entrée et les possibilités d’embauche à la sortie. Pour le C.S.A.. l’Ecole ne doit pas seulement former des ingénieurs encore faut-il qu’elle soit d’un niveau proche de celui des Grandes Ecoles parisiennes. Mais peu à peu le C.S.A. tient de plus en plus compte de l’activité syndicale et associative des élèves ainsi que de la fonction de l’Ecole. En 1958, un rapport présenté au congrès par un membre du C.S.A. met la priorité sur les critères de formation. Les C.S.A. ne tiendra plus compte de la sélection à l’entrée de l’Ecole, mais des formations dispensées. Si l’Ecole forme des ingénieurs ou des cadres supérieurs, elle sera acceptée dans l’UGE. Cela permet d’éliminer les Ecoles ne formant que des techniciens et d’accepter des petites écoles privées comme Sudria ou Charliat qui ont leur propre recrutement, hors du cadre des préparations dans les grands lycées.

Pour être représentées dans les instances dirigeantes (A.G. ou C.A.) du syndicat, les Ecoles devront choisir un délégué UGE. Ce délégué est généralement membre du bureau des élèves. A partir de 1950, le bureau national se rend compte du manque d’efficacité de ce système. Il faut trouver le délégué dans chaque école et celui-ci, quand il existe, ne joue pas toujours correctement son rôle. C’est pourquoi, à partir de 1951/1952, il est décidé que ce sera le président de l’association d’élèves qui deviendra le représentant UGE dans les écoles et dans les instances dirigeantes de l’organisation. C’est une garantie de sérieux et de représentation.

Il – l’UGE DE 1950 A 1971

1) L’évolution de la structure de base

l’UGE repose donc sur les associations d’élèves. Cette structure fonctionne grâce à deux aspects. La présence d’un seul syndicat dans les établissements et la volonté de ne pas remettre profondément en cause le système des Grandes Ecoles. En 1963/1964, deux événements remettent en cause l’association d’élèves comme structure de base, la création de la FNAGE (Fédération Nationale des Associations en Grandes Ecoles) et une nouvelle orientation de l’UGE

Dans les premières années, la FNAGE a peu de succès et s’implante plutôt dans les écoles qui ne sont pas membre de l’UGE. Mais à partir de 1963, de plus en plus d’écoles organisent des votes d’appartenance pour choisir entre l’UGE et la FNAGE. C’est ainsi que plusieurs associations d’élèves quittent l’UGE pour la FNAGE momentanément (Centrale, Ponts et Chaussées, HEC…) ou définitivement (Sup Aéro, Sup Elec…). Mais les militants UGE des Ecoles majoritairement favorables à la FNAGE, se retrouvaient alors sans moyen de représentation au sein de leur syndicat, ne pouvant même pas participer officiellement aux congrès. La direction de l’UGE, d’abord officieusement puis officiellement accorde à ces militants le droit de créer des groupes UGE séparée de l’association d’élèves, dans les Ecoles FNAGE. Puis ces groupes obtiennent le droit d’être membre de l’UGE au même titre que les associations d’élèves. La structure de base de l’UGE s’en trouve, alors modifiée, puisqu’il ne s’agit plus obligatoirement de l’association d’élèves.

Jusqu’en 1957, l’UGE est sur des positions apolitiques et nous n’avons que très peu d’informations sur les orientations politiques de ses dirigeants. A partir de 1957, l’UGE intègre l’UNEF et s’aligne très progressivement sur ses orientations. En 1961 quand une partie des éléments les plus à droite quittent l’UGE pour la FNAGE, ils laissent la direction de l’UGE aux militants proches des « minos ». Il n’existe pas officiellement de tendances au sein de l’UGE comme à l’UNEF, mais avec l’intégration dans cette dernière, les militants doivent se positionner. Par ailleurs l’UNEF a toujours été plus ou moins favorable à l’intégration des Grandes Ecoles dans l’Université. La direction de l’UGE est de plus en plus favorable à cette position, elle propose notamment de fusionner les préparations aux Grandes Ecoles et les propédeutiques dans un même cycle universitaire. Cette proposition s’accompagne d’une remise en cause du système des Grandes Ecoles tel qu’il existe dans les années 1960. Cette orientation se retrouve en contradiction avec les associations d’élèves dont bien souvent la raison d’être est la mise en valeur des Grandes Ecoles. Cela a donc pour conséquence de faire fuir une partie des associations d’élèves qui se retranchent alors dans « l’assyndicalisme ». En 1967, l’UGE décide finalement d’abandonner l’association d’élèves comme structure de base et appelle à former des groupes syndicaux dans toutes les écoles. Cela a pour effet d’élargir le champ d’intervention de l’UGE, puisqu’elle crée des groupes syndicaux dans des Ecoles où elle n’avait jamais était présente auparavant comme à Bordeaux ou à Dijon.

2) Le nombre d’adhérents à l’UGE

Nous pouvons donc dégager deux grandes périodes dans l’évolution structurelle de l’UGE. Lors de la première période allant de 1947 à 1963, l’association d’élèves est la structure de base unique. Pour la deuxième période, de 1963 à 1971, l’UGE choisit le groupe syndical, plus ou moins indépendant de l’association d’élèves. Pour la première période, une comptabilité du nombre d’associations d’élèves membre de l’UGE est possible puisque c’est la seule structure de base (cf. tableau ). Pour la deuxième période, la comptabilité est plus difficile, car l’existence d’un groupe syndical dépend du nombre et souvent du volontarisme de quelques militants. leur existence est donc parfois éphémère.

Ce tableau présente les chiffres officiels, c’est-à-dire les associations statutairement membres de l’UGE. Mais certaines sont des Ecoles « fantômes » pour reprendre l’expression de l’époque. Ce sont des associations qui ne payent pas leurs cotisations et ne participent à aucune activité, on en dénombre une dizaine par an. Ces chiffres sont donc révélateurs du développement de l’organisation qui reste largement la première organisation en Grandes Ecoles jusqu’aux années 1970. Ainsi en 1965/1966, l’UGE compte encore 80 associations d’élèves contre environ 50 à la FNAGE. Enfin si l’on compare ces chiffres avec le nombre de Grandes Ecoles en France, on s’aperçoit que l’UGE a rassemblé plus de 50 % des Ecoles françaises. Ce chiffre dépasse même les 60 % en 1962/1963.

 

Le nombre d’associations membres de l’UGE de 1950 à 1963

 

1950/1951 : 63

1951/1952 : 63

1952/1953 : 63

1953/1954 : 65

1954/1955 : 67

1955/1956 : 72

1956/1957 : 74

1957/1958 : 82

1958/1959 : 84

1959/1960 : 92 + 12  en 2° tranche

1960/1961 : 98

1961/1962 : l03

1962/1963 : 108 + 15  en 2° tranche

 

 

Voici une estimation plus ou moins précise du nombre de cotisants pour quelques années :

 

1949/1950 : 3000

1950/1951 : 4633

1951/1952 : 5438,

De 1952 à 1955, il n’y a pas de chiffres dans les archives

1956/1957 : 6505

1957/1958 : 7442

1959/1960 : 8047

1963/1964 : 7500

1964/1965 : 5500

1965/1966 : 3500

 

Le nombre d’adhérents ou de cotisants est plus difficile à évaluer car les chiffres officiels sont nettement supérieurs à la réalité. En fait 1’UGE revendique un nombre d’adhérents correspondant au nombre d’élèves par Ecole, puisque l’association d’élèves est censée réunir tous les élèves d’une Ecole. Pour déterminer le chiffre réel de cotisants, nous nous sommes appuyés sur les rapports financiers et sur le nombre de mandats à l’A.G.

Cependant les cotisations ne sont pas révélatrices du militantisme, dans la mesure ou les associations d’élèves peuvent jusqu’en 1959/1960 payer globalement les cotisations sans les demander à chaque élève. Cela explique que l’on trouve des écoles ayant de 90 à 100% d’élèves cotisants à l’UGE, ce pourcentage passant parfois à 101 ou l02% si cela peut permettre de gagner une voix en A.G. (c’est évidemment condamné par le bureau).

Ces chiffres très parcellaires correspondent à la progression du nombre d’associations d’élèves membres de l’UGE entre 1950 et 1963

3) Les lieux d’implantation de l’UGE

La plupart des très Grandes Ecoles sont passées par l’UGE, c’est le cas par exemple de Centrale Paris et Lyon, Mines Paris, Nancy et Lyon, Ponts et Chaussées, Sup Aéro, Sup Elec, HEC, ESSEC, Sup de Co, Télécom, Agro et toutes les Ecoles nationales d’agriculture, toutes les écoles d’Arts et Métiers, les Ecoles normales supérieures… Polytechnique, compte tenu de son statut militaire ne pouvait être membre de l’UGE, elle a cependant souvent envoyé des observateurs dans les commissions ou dans les A.G.

Du point de vue géographique, on constate que 40 % environ des Ecoles UGE sont parisiennes, ce qui correspond à la situation générale des Ecoles en France. Les fédérations du Nord, de Nancy, de Grenoble puis de Lyon et de Toulouse sont les plus puissantes. Par contre l’UGE s’implante plus difficilement dans le sud et dans l’ouest du pays. Par exemple l’UGE n’a aucune implantation à Bordeaux avant la création des groupes syndicaux alors qu’il y a quatre Grandes Ecoles.

Du point de vue des formations, la très grande majorité des Ecoles UGE, sont des Ecoles d’ingénieurs. Les Ecoles de chimie, d’électricité ou des mines sont relativement actives. Les Ecoles de commerce, surtout celles de province sont mal représentées au sein de l’UGE. En fait l’UGE ne considère pas les Ecoles de commerce comme des Grandes Ecoles. Par exemple, Sup de Co de Reims se voit régulièrement refuser l’entrée dans l’UGE. Les écoles d’arts (Beaux Arts, ENSAD, IDHEC…), bien que membres de l’UGE, n’ont aucune activité au sein de l’organisation. Sciences Po a été membre de l’UGE, mais avec l’unification en 1957, elle choisit rapidement l’UNEF. L’ENA n’a jamais été membre de l’UGE. Enfin le Cartel des ENS a une activité au sein de l’UGE, en fonction des aléas politiques du moment. Le Cartel est par exemple plus actif pendant la guerre d’Algérie et pendant les deux ou trois ans qui précédent 1968. Il existe également des associations corporatives qui s’associent à l’activité de l’UGE et que celle-ci contrôle plus ou moins. C’est le cas de l’Union Nationale des Elèves des Ecoles Supérieures d’Agriculture et de l’Union Nationale des Ecoles de la Marine Marchande.

4) Les activités de l’UGE

Comment expliquer la forte représentativité de l’UGE au sein de ces Grandes Ecoles pourtant jugées souvent individualistes. Une présentation des principales activités de l’organisation nous permettra d’apporter des éléments de réponse.

Tout d’abord l’UGE correspondait sans doute à une attente. Elle permettait à certaines Ecoles d’affirmer leur identité et de lutter contre leur isolement. Affirmer son identité, c’est pouvoir, pour les élèves des ENST ou des INSA, entrer dans un groupe désigné comme celui de l’élite et d’être donc à leur tour, considérés comme élèves de Grande Ecole. Lutter contre l’isolement, c’est permettre à des écoles de petites villes de province ou qui se trouvent à l’écart des campus universitaires, de profiter des avantages apportés par l’UGE.

Ces avantages sont d’abord culturels : l’UGE organise avec divers organismes des stages dans la Marine, des stages de ski ou des voyages à l’étranger. Elle publie chaque année une brochure donnant des conseils pour organiser des voyages de fin d’étude. A Paris, l’UGE organise chaque année un tournoi de bridge, elle centralise et publie dans son journal UGE puis Grandes Ecoles, les dates de bals pour éviter les chevauchements.

L’UGE doit également son succès à son intervention syndicale : elle obtient des prolongations de sursis pour certains élèves grâce à sa présence dans la Commission Armée Jeunesse. Elle intervient contre les exclusions d’élèves dans certaines Ecoles. Elle défend les premières années des Arts et Métiers contre des bizutages un peu violents. Enfin elle se bat pour obtenir des logements, des bourses ou la sécurité sociale étudiante pour les écoles privées.

Enfin l’UGE a une réputation de sérieux et elle en donne des garanties quand elle organise des colloques internationaux auxquels participent parfois de 200 à 300 personnes (personnalités du monde politique ou économique, des enseignants, des chercheurs et de nombreux étudiants français ou étrangers). Les thèmes de ces colloques sont la formation de l’ingénieur ou la coopération technique dans les pays pauvres.

Les publications de l’UGE sont également une garantie de sérieux. Par exemple, en 1963, elle publie un Livre Blanc Pour de nouvelles méthodes d’enseignement qui aura trois éditions. Ce livre brochure est acheté par des bibliothèques d’Ecole, par des instituts techniques étrangers et par des personnalités diverses. Et dans la tourmente de mai 1968, des élèves utiliseront encore ce Livre Blanc pour élaborer des revendications. En 1964, l’UGE sort un Livre Blanc sur les stages qui complète le premier. Ces publications sont en fait le résultat des réflexions élaborées depuis le début des années 1950 dans les commissions que l’UGE organise en province et à Paris. Enfin c’est l’UGE qui de 1957 à 1970, se charge d’accueillir environ 400 étudiants chaque année, dans le cadre de l’IAESTE (International Association for the Exchange of Students for Technical Experience).

Nous ne nous étendrons pas sur l’évolution politique de l’UGE dans la mesure ou par bien des aspects, elle se confond avec celle de l’UNEF. Nous signalerons cependant que l’opinion politique des dirigeants de l’UGE est difficile à déterminer car celle-ci, contrairement à l’UNEF, n’a pas de tendances structurées. On peut tenter de dégager plusieurs phases dans l’évolution politique de l’UGE de 1947 à sa disparition vers 1985.

Les années 1947 à 1950 sont une période trouble et sur laquelle nous avons peu d’informations. Le premier président de l’UGE, Christian Beullac, est de droite et semble diriger un bureau de la même tendance. Au premier congrès de l’UGE, on lui reprochera de s’être mis au service du Ministre de l’intérieur lors des grèves de 1947, en diffusant dans Affluents, un appel à remplacer les grévistes. Le deuxième bureau est alors dirigé par J.Montagne qui serait communiste, selon un témoignage oral. Le bureau 1949/1950 est sous la direction de Jean Clavel, un ancien résistant proche des communistes. Mais son bureau semble être plus un bureau d’unité, adoptant l’apolitisme. La deuxième phase de 1950 à 1956, est celle de l’apolitisme. Les bureaux semblent respecter un certain équilibre politique. La troisième phase, de 1956 à 1965 est celle de l’intégration dans l’UNEF et du soutien aux minos. Plusieurs lettres confirment que les dirigeants sont proches des minos et en particulier de la JEC. Cette troisième phase est marquée par la position originale de l’UGE qui contrairement à l’UNEF ne rompra jamais avec l’UGEMA, au moment de la guerre d’Algérie. La quatrième phase, est celle de la « gauchisation ». Il semblerait que les ESU aient pris le contrôle de l’UGE de 1965 à 1970. Cette période est marquée par une plus grande intégration au sein de l’UNEF et l’abandon de l’association d’élèves comme structure de base. Enfin la dernière phase est celle de la prise de contrôle de l’UGE par la tendance Renouveau et l’UEC. Cette dernière est restée maître de l’UGE jusqu’au dernier bureau en 1985/1986.

l’UGE tout comme les élèves qu’elle représente, tient une place à part dans le mouvement étudiant. Tout en conservant une autonomie par rapport à l’UNEF, c’est paradoxalement grâce à la présence du grand syndicat étudiant que l’UGE a pu continuer à exister. En effet les élèves en Grandes Ecoles ont suivi le même mouvement que les étudiants de facultés, en se dotant d’une représentation unique. Mais c’est pour éviter de se retrouver isolés et minoritaires que les élèves se sont organisés en dehors de l’UNEF. Mais les détenteurs du pouvoir dans les Grandes Ecoles ne sont pas les mêmes que dans les Universités. La volonté unificatrice et solidaire de l’UGE, s’est confrontée au conservatisme des Anciens élèves et des directions d’Ecoles. Dans les Grandes Ecoles on apprend à devenir cadre supérieur, c’est-à-dire s’adapter à la férocité de la concurrence économique. L’UGE pouvait difficilement s’opposer à cela sans se marginaliser. Aujourd’hui avec la domination du libéralisme, il n’y a même plus de place pour une organisation comme la FNAGE. Il s’est donc passé quelque chose d’intéressant dans les Grandes Ecoles entre 1950 et 1970 que l’histoire de l’UGE ne suffit pas à expliquer. Des recherches sur les associations d’élèves et sur les dirigeants de l’UGE permettraient sans doute d’élargir nos connaissances sur cette période.

Jean-Quentin Poindron

Les Cahiers du Germe, spécial 3 « engagements étudiants », mars 1998.

[1] Cette communication s’appuie sur les archives de l’UGE actuellement en cours de traitement par les soins de l’auteur au CHRMSS.

[2] SULEIMAN Les élites en France

[3]Pierre BOURDIEU La Noblesse d’Etat

[4]B. MAGLIULO : Les Grandes Ecoles.

[5] Voir la liste des AGE représentées au congrès de Grenoble dans Les Cahiers du Germe spécial n°1.

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