En annonçant pour 2018 – 70ème anniversaire de sa création – la fin du régime étudiant de sécurité sociale (RESS) transféré en totalité au régime général et en réduisant la cotisation étudiante « pour redonner du pouvoir d’achat aux étudiants » le gouvernement semble faire un cadeau aux étudiants.
Peu de personnes – une partie, mais seulement une partie, du mouvement étudiant (les mutuelles étudiantes et l’UNEF) défend le RESS, à l’inverse d’autres organisations (FAGE, Solidaires étudiant-e-s), la grande masse quant à elle se tient bien éloignée de ce qui lui semble constituer au mieux une grosse machine administrative, de surcroît pas toujours efficace du point de vue des remboursements, au pire comme un système à la limite de la corruption et de détournement de fonds. « L’affaire MNEF » des années 1990 a occulté ce qu’a été la réalité du mutualisme étudiant fondé dans l’élan de la Libération, avec le souffle de la création de la Sécurité sociale, elle occulte également les réalisations ultérieures des mutuelles dans les années 2000.
En déclarant intégrer les étudiants dans le régime général de la sécurité sociale, et en réduisant la cotisation étudiante, le gouvernement reviendrait-il aux sources de la protection sociale étudiante ?
Rapide retour sur les origines d’une sécurité sociale étudiante
Dans la période de la Libération, plusieurs élans convergent. La sécurité sociale – qui devait être universelle – est finalement réduite pour son régime général aux salariés, les professions libérales et indépendantes ayant refusé d’être mêlées aux ouvriers, employés. On ne mélange pas les élites avec les prolétaires… surtout quand la force dominante est la CGT. Les professions indépendantes auront leurs propres régimes spécifiques. Cette sécurité sociale dans ses structures adopte plutôt les traditions mutualistes, avec des caisses primaires – organismes de droit privé – administrées par des conseils dont les trois quarts sont des salariés, élus par les salariés.
Les étudiants étant, juridiquement du moins, des « inactifs », ne bénéficiaient de la protection sociale que par celles des parents. Le congrès de Grenoble en 1946 qui rebâtit syndicalement une UNEF alors quadragénaire, adopte avec le texte qui sera connu comme « la charte de Grenoble » une définition de l’étudiant comme « jeune travailleur intellectuel ». A ce titre il a un devoir, celui se s’intégrer dans « l’ensemble de la jeunesse nationale et mondiale », et un « droit à une prévoyance sociale particulière ». Comment cela va-t-il se matérialiser ? Les dirigeants étudiants de l’époque vont faire preuve de pragmatisme, sans a priori technique mais attachés à ce principe d’intégration des étudiants, donc du mouvement étudiant, dans « la nation », et plus particulièrement avec les travailleurs (puisqu’il est considéré comme tel). Entre 1946 et 1948, la première bataille est interne ; alors que beaucoup d’étudiants se considèrant comme de futurs professionnels libéraux (droit, médecine) voudraient être affiliés aux régimes de leurs professions futures, c’est de justesse que la direction de l’UNEF obtient une majorité (fragile d’abord) en faveur de l’intégration dans le régime général. C’est ainsi que le RESS n’est pas « à part », il fait partie dès le début du régime général. Mais que faire de la spécificité étudiante. Il n’y a pas de salaire étudiant (même s’il est revendiqué comme tel, ou sous le vocable « d’allocation d’études »), et donc pas de « risque vieillesse », pas d’arrêt maladie, ni de chômage à couvrir, ni d’ailleurs de cotisations à percevoir, d’où la cotisation symbolique. En revanche, il y a la maladie à soigner, notamment la tuberculose qui frappe beaucoup dans les facultés, puis viendront d’autres pathologies, et surtout il y a l’action préventive. Rappelons que sur de nombreux terrains la mutualité étudiante a été en avance, sur la santé mentale, les MST, voire à l’avant-garde sur la contraception, le droit à l’avortement.
Expositions de la Cité des mémoires étudiantes pour les 60 ans du régime et des mutuelles étudiantes. 2008.
Le choix d’un système de mutualité délégataire
On aurait pu avoir à la création de la sécurité sociale des sections locales universitaires avec des administrateurs étudiants, élus par les étudiants, sur le même principe que le reste des caisses. La loi votée le 23 septembre 1948 prévoit la gestion étudiante Finalement au cours de ces deux années de gestation, dans les discussions se croisent quelques volontés : une sénatrice PRL (pas spécialement de gauche, loin de là) Mme Devaux, le vice-président de l’UNEF, Charles Lebert, qui se fait embaucher le temps du débat comme sténotypiste à la chambre des députés, un soutien obtenu des trois groupes parlementaires MRP, SFIO, PCF, une bienveillance du ministère de l’Education et l’absence du ministre des Finances, pour arriver au système transposé de celui des fonctionnaires, une mutuelle étudiante, formée d’étudiants, gérera un centre de sécurité sociale spécifique, c’est le régime étudiant de sécurité sociale. Pour Charles Lebert «Le législateur allait confier la gestion de la sécurité sociale étudiante qui n’existait pas encore à une mutuelle qui existait encore moins» Un mois après le vote de la loi, l’UNEF constitue la MNEF le 25 octobre, mutuelle qui obtient l’agrément du ministère du Travail le 27 décembre. En quelques semaines les équipes militantes constituent les sections locales de la mutuelle.
Ce pari qui semblait fou marche, et innove, du moins jusqu’à la fin des années 1960. Ce qui était une conquête, prise en charge par les militants, n’est plus perçu aujourd’hui comme un acquis collectif. Les péripéties du mouvement étudiant, la pression des pouvoirs publics sanctionnant les prises de position de l’UNEF pendant la guerre d’Algérie, et bien évidemment son rôle en 1968, puis l’exigence de normes de gestion s’approchant plus de celles de l’économie marché que d’un service public, la massification d’un monde étudiant qui passe en 35 ans de 150 000 à un million d’étudiants entre 1945 et 1980, l’éclatement du « syndicat unique » étudiant, puis l’encouragement à la concurrence entre mutuelles–concurrence ne rimant pas forcément avec économies et qualité en la matière- l’affaiblissement du mouvement étudiant organisé et enfin le partage du régime étudiant en deux caisses, ont changé la donne. Il serait bienvenu de tirer le bilan de toutes ces expériences. Bien sûr, il y a quelques travaux, notre dossier en atteste, mais pour approfondir il faudrait que les archives détenues par le liquidateur judiciaire de la MNEF soient « libérées ». Ce patrimoine national est précieux, il devrait être mis à la disposition ne serait-ce que des chercheurs, là où est leur place – dans des centres d’archives et non séquestrées – on se demande dans quel état !. -au fond d’un entrepôt.
Vers une nouvelle protection sociale pour les étudiants du 21ème siècle?
Il est évident qu’un système établi pour 150 000 étudiants en 1946 ne peut fonctionner dans l’université du 21ème siècle. Les solutions ne sont pourtant d’abord pas techniques, les techniques ne sont pas neutres. Le retour à une cotisation symbolique comme il en était question en 1948 serait conforme à l’esprit pionnier. Mais qu’en sera-t-il des prestations puisque depuis il y a eu le ticket modérateur, la part de plus en plus importante imposée aux mutuelles (et donc aux cotisations de leurs adhérents) pour la partie complémentaire qui augmente au détriment des actions de prévention adaptées aux jeunes étudiants.
La question ne peut plus être réduite à une opposition entre partisans du maintien ou de la suppression du régime tel qu’il est, même s’il serait plus raisonnable de décréter un moratoire pendant que des débats publics ont lieu, débats nécessaires pour un renouvellement. Il faut en effet en revenir aux fondamentaux : puisque les étudiants demeurent une population aux caractéristiques particulières (pas de cotisations retraite, peu de consommation de soins mais risques à prévenir) oui ou non il y a-t-il nécessité d’une protection sociale particulière pour les étudiants ? Ou pour les étudiants et les jeunes ? Si oui, quel système permettrait une implication des premiers concernés ? Des sections locales universitaires, des antennes ou autres structures au plus près du terrain, par exemple ? Quelle que soit l’option prise, le rétablissement du principe électif d’administrateurs élus par leurs pairs à tous les niveaux, responsables devant eux d’abord – serait un retour aux sources qui n’ont rien perdu de leur modernité.
Le reste viendra : quelle place alors pour les mutuelles, pour des organismes telles la FSEF (Fondation santé des étudiants de France), la MPU (Médecine préventive universitaire), des associations spécialisées, quelle indépendance vis-à-vis d’opérateurs du « marché de la santé », notamment des assureurs privés, qui ne manqueront pas de se manifester, quels contrôles de l’utilisation des deniers…
La crise du régime étudiant pourrait alors se transformer à nouveau en exemple comme le mouvement étudiant en donna tant, parfois de mauvais mais souvent de bons. Dans la « démocratie sociale » d’aujourd’hui, la désignation remplace les élections, c’est le cas à l’UNEDIC, à la Sécurité sociale, aux conseils de Prud’hommes. Cela coûte moins cher certes, mais ne garantit pas contre « les dangers professionnels du pouvoir » des désignés.
Peut-être de ce maillon faible du mutualisme qu’est le secteur étudiant – gageons que les prochaines cibles seront d’autres mutuelles et régimes spéciaux – pourra émerger un autre modèle qui soit en même temps fidèle aux principes et adapté à notre époque.
Robi Morder
Pour aller plus loin:
Sur notre site, un dossier avec :notes de lecture, repères bibliographiques, notes biographiques, contributions, archives, documents.
Présentation de l’exposition « Cent ans de santé étudiante. Quelle histoire! » de la Cité des mémoires étudiantes,une vue des débats et visites autour de l’exposition au sanatorium de Saint Hilaire du Touvet en septembre 2010 et une vue des panneaux.
Voir aussi sur le blog de Guillaume Tronchet, « Le gouvernement Philippe et la sécurité sociale des étudiants étrangers : retour en 1948 ? »