lecture : Anaïs Gérard, L’UNEF à Lyon, de mai 68 à la scission de 1971,

Anaïs Gérard, L’UNEF à Lyon, de mai 68 à la scission de 1971, histoire politique de l’UNEF à Lyon à la fin des années 60, Mémoire de fin d’études de l’IEP de Lyon, sous la direction d’Yves Lequin, septembre 1998, 131 p. + annexes.

Dans son mémoire, Anaïs Gérard analyse le mouvement étudiant lyonnais dans une de ses phases critiques, mai 68 et ses suites, débouchant notamment sur un éclatement du syndicat étudiant, de l’AGEL (Association Générale des Etudiants Lyonnais), un des foyers du renouveau syndical de l’UNEF à la Libération.

En prélude à cette étude, un panorama de la diversité militante du mouvement étudiant local à la veille de mai 68 est bien évidemment dressé : une forte composante “ corporatiste ” peu politisée, présente principalement en Médecine, Droit, Sciences, de fortes minorités militantes d’extrême-gauche d’orientation “ gauche syndicale ”à la tête de l’Amicale des Lettres, les ESU (Etudiants Socialistes Unifiés, section étudiante du PSU), majoritaires au sein du bureau de l’AGE et une gauche traditionnelle, présente de manière relativement plus marginale, animant l’INSA pour l’UEC (Union des Etudiants Communistes) et occupant la présidence du bureau d’AGE pour la SFIO, au travers d’un de ses militants étudiants en médecine.

La première partie (p. 11-68) est consacrée à l’éclatement de l’AGEL-UNEF à l’épreuve des événements de mai 68.

Malgré ses divisions, le mouvement étudiant se retrouve dans une relative unité pour organiser la solidarité contre la répression des étudiants nanterrois et parisiens, même si les rythmes sont différents. Dès le 6 mai, l’INSA est en grève et le 7 mai, c’est le premier appel à la grève générale et la première manifestation de rue. Les 10 et 11 mai, les facultés des Lettres et des Sciences se mettent en grève, allant même installer des piquets à la faculté de Droit. Les facultés de Médecine et de Pharmacie rejoignent la grève le 16 mai.

Autour du 13 mai, s’étaient opérés plusieurs changements : la contestation étudiante s’étendait du campus de la Doua aux Quais ; les ouvriers de la Rhodiaceta avaient rejoint les étudiants dans la grève et dans la rue, constituant ensemble un cortège de 35 000 personnes ; la contestation en devenait d’autant plus globale.

Dans cette première phase, l’auteur souligne l’unité et le rôle moteur de l’AGEL, mais, si, effectivement, les banderoles de l’UNEF sont en tête, si toutes et tous se retrouvent derrière celles-ci, est-ce dû à l’activité d’une AGE unie ou de ces diverses composantes partageant momentanément un même axe de mobilisation au départ ?

A. Gérard mentionne déjà des divergences sur la question du boycott des examens ou celles des changements nécessaires au sein de l’institution universitaire, changements longuement débattus au sein des “ commissions étudiants / professeurs ”

A partir du 13 mai, les contradictions s’accentuent parmi les militants étudiants. Une “ frange révolutionnaire ” du mouvement étudiant se développe et avance, à partir de l’axe étudiants-travailleurs, la perspective d’un changement radical de la société. A Lyon, comme ailleurs, les militants radicaux désertent les universités au profit de la rue et de la jonction avec les luttes ouvrières et critiquent plus ou moins fortement les commissions de réflexion. Pour reprendre les grilles de lecture des rencontres 1998 du GERME (“ nouveaux regards sur le mai jeune et étudiant ”), le mai militant l’emporte sur le mai universitaire. Mais cette frange est elle-même divisée sur ses modes d’action ?

Les militants du PSU continuent, seuls, à tenir l’appareil de l’AGEL-UNEF et tentent de maintenir une “ unité au sommet ” et d’encadrer le mouvement étudiant, en offrant la logistique syndicale aux divers groupes tout en veillant à l’entente cordiale entre révolutionnaires et modérés, voire à une synthèse politico-revendicative, comme, par exemple, à l’occasion de la violente manifestation du 24 mai qui se solda par la mort du commissaire Lacroix (l’AGEL décline toute responsabilité dans ces violences tout en soutenant le mouvement). Cette logique d’ “ unité au sommet ” est également de mise avec les syndicats et partis ouvriers, notamment avec la CFDT, proche également du PSU : au-delà des manifestations communes, cette unité se traduit par la création, le 24 mai, du “ Journal du Rhône ” à l’initiative de la CFDT, de la FGDS, du PSU et de l’AGEL.
Les autres militants d’extrême-gauche, maoistes ou situationnistes libertaires du Mouvement du 22 Mars prônent, eux, l’unité à la base, à travers les Comités d’Action et autres comités de grève, et font preuve d’un “ activisme ” de tous les instants, dans l’organisation des manifestations, voire des affrontements avec la police, ou dans l’occupation des locaux universitaires, notamment de la faculté des lettres des Quais, évacuée la dernière, le 12 juillet.

Malgré ces nombreuses divisions, une volonté de reconstruction de l’UNEF se fait jour au sortir du mouvement de mai. Que se passe-t-il dans les années suivantes ? C’est l’objet de la seconde partie (p. 69-125).

En fait, l’après 68 confirme la crise de l’AGEL : baisse fulgurante des effectifs (2500 adhérents en décembre 1968, 200 en 1969), suppression des subventions et du local mis à disposition de l’AGEL à la Mairie du 3°.

Dans la logique des assises nationales de l’UNEF de Grenoble (juillet 1968) et du Congrès de Marseille (décembre 1968), on retrouve le même processus de politisation et les mêmes débats d’orientation entre une direction PSU cherchant à redéfinir l’UNEF comme un “ mouvement politique de masse ”, une UEC créant une tendance “ renouveau ” souhaitant maintenir l’ “ organisation syndicale de masse ” ancrée dans une “ défense des intérêts étudiants ”, une AJS (Alliance des Jeunes pour le Socialisme), lambertiste, commençant à s’implanter à Lyon avec une ligne “ syndicat de masse ” et les maoistes, relativement bien implantés localement. L’AGEL, toujours à direction ESU, soutient et applique les nouvelles dispositions statutaires faisant du CA UNEF l’unité de base du syndicat (décembre 1968 – mai 1969), même si, très probablement, cette question n’a pas réellement été débattue au sein de l’AGE.

Au fur et à mesure des mobilisations des années 1969-1970, les contradictions vont encore s’accroître. L’organisation des premières élections de délégués étudiants aux Conseils de gestion des facultés de Lyon, du 13 février au 24 mars 1969, sont l’occasion pour les forces étudiantes locales de se diviser, à nouveau, en fonction des diverses orientations nationales sur la participation instaurée par la loi Faure : la tendance “ renouveau ” est la seule force se déclarant syndicale (non apolitique et / ou associative, ou délibérément politiques : Jeunes Républicains Indépendants, Jeunes Démocrates Socialistes, …) à se présenter aux élections et à obtenir 74 sièges sur 371 (dont 49 sièges sur 66 en sciences et 25 sur 99 attribués en lettres – le boycott a été suivi à 52,9 %) alors que les autres militants (PSU, LC, AJS, maos, …) prônent le boycott. Cette démarche, contraire au vote majoritaire du congrès de Marseille, va accentuer les tensions locales et nationales, les élus UNEF-renouveau devant choisir entre leur mandat et leur adhésion à l’UNEF.

Le 20 janvier 1970, à partir des étudiants en langues, la grève générale s’étend à l’ensemble de la faculté des lettres (9000 grévistes), notamment avec l’impulsion du CA UNEF Lettres, tenu par les maoistes de “ Front Uni ” (ex-PCMLF) ; le 23 janvier, la grève s’étend aux sciences à l’initiative de l’ “ Amicale UNEF Sciences ”, tenue par l’AJS. Mais, très vite, sur le plan local comme national, des initiatives similaires sont organisées en même temps par deux forces concurrentes (comme des meetings inter-facs) ou, comme en sciences, la tendance “ renouveau ” appelle à la fin de la grève contre l’avis de l’Amicale, voire organise des expéditions punitives contre le CA UNEF Lettres ; les militants de Front Uni et du PSU tentent d’organiser, chacun de leur côté, des assises nationales et/ ou régionales ; ou encore, les directions nationale et locale ESU appellent à la fin de la grève, lors d’un meeting le 26 février, alors que l’AJS continuait à mobiliser …

Autre épisode de la division grandissante du mouvement lyonnais : l’ “ affaire de Jussieu ”. Le 10 avril, au restaurant universitaire de Jussieu à la Doua, un étudiant congolais agresse l’intendant du CROUS, suite à des propos racistes ; cet étudiant est exclu de la résidence universitaire par le directeur du CROUS. Autour de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire de France), des actions et mobilisations et actions sont menées avec, seulement, l’AGEL et la Gauche Prolétarienne, cette dernière cherchant toujours à radicaliser l’action et à l’étendre à une lutte générale contre la répression.

Enfin, face à loi anti-casseurs de Chaban-Delmas, l’AGEL remobilise localement un front très large contre cette loi répressive (meeting du 29 avril), dans la même logique d’ “ unité au sommet ” qu’en mai 68, mais les tensions entre les différentes organisations politiques et syndicales sont de plus en plus fortes même dans un tel contexte.

La scission entre la tendance “ renouveau ” (communiste) et “ unité syndicale ” (créée par l’AJS fin 1970), se traduisant par la démission de la direction PSU du bureau de l’UNEF (janvier 1971), par l’organisation de 2 congrès, l’un à Dijon par l’UNEF-US (21-23 février 1971) et l’autre à Paris par l’UNEF-RE (5-7 mars 1971), va renforcer et cristalliser les divisions accumulées. Sur le plan local, les ESU maintiennent leur contrôle sur le bureau de l’AGEL qu’ils désaffilient de l’UNEF ; les 11 et 12 février, est créée l’UNEF-RE sur les facultés lyonnaises ; les militants AJS créent une UNEF-US, ce qui fait que, pendant quelques temps encore (l’AGEL-ESU disparaissant rapidement), il existe 3 organisations syndicales.

Ainsi, dans cette première étude, Anaïs Gérard montre l’effet d’implosion de mai 68 sur le mouvement étudiant lyonnais, même si l’UNEF a pu encore faire illusion comme cadre unitaire jusqu’au 13 mai ; trois ans de crise et de division révéleront au grand jour l’hétérogénéité grandissante de l’UNEF avant même 68.

Ce premier travail offre de nombreuses perspectives d’approfondissement : mieux connaître ces militants lyonnais par une approche biographique / prosopographique, mieux cerner les stratégies nationales et locales des diverses forces étudiantes, notamment des ESU si marquants dans le cas lyonnais, étendre le champ chronologique de l’analyse, notamment en remontant à la Libération. Anaïs Gérard a encore de belles pistes de travail devant elle et nous croyons savoir qu’elle a mis à profit l’année universitaire écoulée pour explorer la dernière évoquée ici. Donc, rendez-vous dans un prochain numéro des Cahiers du GERME.

Jean-Philippe Legois.

Les Cahiers du GERME trimestriel n° 11/12 4° trimestre 1999

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