Le serpent de mer de l’ALS: retour sur une tentative de réduction du gouvernement Balladur en 1993

manifestation unef unef id novembre 1993

L’unité des deux UNEF contre la réforme de l’ALS débouche sur une manifestation commune sur le budget. Côte à côte le président de l’UNEF dite SE (Bon Injey, deuxième à partir de la gauche) et celui de l’UNEF ID (Philippe Calmpinchi à sa gauche). Carte de voeux de l’UNEF ID janvier 1994.

Les remises en causes récentes de l’ALS pour les étudiants, du moins dans ses modalités et son étendue, ne sont pas les premières. C’est peu de temps après sa création que la première menace s’annonce en 1993. C’est ce premier précédent que nous nous proposons de rappeler sans avoir pu encore utiliser les archives de l’UNEF-ID sauvegardées par et à la Cité des mémoires étudiantes depuis plusieurs années, et qui vont commencer à être traitées avec la convention ministère/Cité pour être ensuite accessibles aux chercheurs et aux intéressés, sans oublier le sort des archives de l’UNEF dite SE, dispersées et pour certaines disparues, les archives de la FAGE, et d’autres archives, publiques ou privées telles celles des administrations, des premiers ministres, des personnes étant intervenues dans ce dossier. Toutefois il a été possible de nous appuyer essentiellement sur une revue de presse, des archives et des notes personnelles notamment cellesprises dans le cours du mouvement et au sein de réunions de coordinations Il faut donc considérer cette contribution comme provisoire[*].

L’ALS étendue aux étudiants en 1990…

En 1948, l’allocation logement familiale (ALF) est créée pour aider les foyers à supporter l’augmentation des loyers consécutive à la fin de l’encadrement des loyers (Loi du 1er septembre 1948). En 1971 (Loi du 16 juillet), l’allocation logement sociale (ALS) est instaurée comme complément pour les ménages vulnérables. En 1977 (Loi du 3 janvier) l’aide personnalisée au logement (APL) vient renforcer le dispositif mais elle est limitée aux appartements conventionnés par l’Etat. En 1990, Lionel Jospin, alors ministre de l’Education nationale du gouvernement de Michel Rocard sous la présidence de François Mitterrand, étend le bénéfice de l’ALS aux étudiants en leur seule qualité d’étudiants locataires d’un logement.

[*] Une première version de ce texte a été présenté au colloque logement du 7 novembre 2015 organisé par l’AAUNEF avec le concours du Germe et de la Cité des mémoires étudiantes. Il a été complété ensuite et sera plus développé quand les nouvelles archives seront accessibles.

Nous sommes alors dans le cadre du lancement du plan « Universités 2000 », et d’un plan social étudiant comprenant : un indice social spécifique servant de base à l’aide sociale aux étudiants ; un dossier social unique destiné à évaluer la situation de chaque étudiant ; le transfert la gestion des bourses aux CROUS avec une revalorisation de leur montant de 6 % à la rentrée 1990 tout en augmentant leur nombre de 10 % , etc. Ce plan social est signé le 26 mars 1991 par quatre syndicats étudiants, le CELF (Collectif des étudiants libéraux de France), l’UNI, la FAGE et l’UNEF-ID, en la personne de son président Christophe Borgel, le plan est ensuite présenté en Conseil des ministres. L’ALS est d’abord instituée en Ile-de-France, étendue dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants en 1992, enfin début 1993 c’est l’ensemble du territoire qui est couvert. Le dispositif est simple : dès lors qu’ils déclarent ne pas disposer de revenus propres, l’ALS est attribuée aux étudiants de manière automatique, quels que soient les revenus de leurs parents. Et elle s’élève en 1993 à 1 074 francs par mois pour les étudiants parisiens et à 945 francs pour les provinciaux[1] (donc environ 150 €). L’ALS à la rentrée 1993 est accordée à 365 000 étudiants.

… remise en cause en 1993

En mars 1993 la droite vient de gagner les élections législatives. François Mitterrand demeurant président de la République, le gouvernement de la deuxième cohabitation est dirigé par Edouard Balladur Premier ministre, François Fillon en étant le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Lors de la présentation le 23 septembre à la presse de son projet de budget pour 1994, celui-ci confirme ce qu’il avait envisagé des juin : à partir de la rentrée 1994 les conditions d’attribution de l’aide sociale au logement seront réduites[2]. Il persiste ensuite, affirmant vouloir « moraliser l’allocation de logement social », précisant que la « générosité de l’Etat » risque d’atteindre un quart du budget de l’enseignement supérieur,et qu’en conséquence cela n’était « pas raisonnable »[3].

appel unitaire des UNEF 15 novembre 1994

appel unitaire des deux UNEF pour le 15 novembre 1994

Nicolas Sarkozy, devenu quant à lui porte-parole du gouvernement, est également chargé de préparer le collectif budgétaire pour 1993, puis la loi de finances 1994. Au sortir du conseil des ministres du 13 octobre 1993 il déclare que la refonte de l’ALS est « une question de justice sociale », le budget de l’ALS pour les étudiants étant de 3,6 milliards de francs et devant augmenter indubitablement avec la croissance du nombre d’étudiants prévu par le plan « Université 2000 ». Pour mémoire, rappelons que le cap des deux millions d’étudiants venait d’être franchi, soit 600 000 de plus qu’en 1988. « Avec 60 000 étudiants supplémentaires à la rentrée de 1993, la France compte aujourd’hui plus de 2 millions d’étudiants, et 45 000 étudiants supplémentaires sont prévus pour la rentrée de 1974 »[4].

Le projet est le suivant : les boursiers conservent l’ALS à taux plein, pour les autres le bénéficie de l’ALS décroît si le revenu mensuel de l’étudiant est inférieur à 3300 Francs (équivalent de 600 €), en prenant en compte la déclaration fiscale des parents. Au délà, plus d’ALS. Conséquence : pour les non boursiers une réduction de l’allocation de 65%[5].

La session parlementaire budgétaire commence, le budget du logement doit venir en première lecture à l’Assemblée nationale le 8 novembre, et celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche le 15 novembre.

Une telle remise en cause ne pouvait qu’entraîner des protestations du côté étudiant.

Le groupe de pression étudiant en action

Le paysage syndical étudiant est alors le suivant : quatre organisations nationales sont considérées comme représentatives au regard de la Loi dite Jospin de 1989, en fonction de leurs résultats électoraux ; L’UNEF indépendante et démocratique, l’UNEF dite « solidarité étudiante » (SE), la FAGE et l’UNI. L’UNEF indépendante et démocratique est présidée par Philippe Campinchi qui a succédé à Christophe Borgel en novembre 1991, mais il en situation difficile tant en interne puisqu’en réalité il est minoritaire et ne conserve la présidence que par le compromis issu du congrès de Clermont-Ferrand (mai 1993) qu’en externe, avec des résultats électoraux décevants. L’UNEF dite SE (présidée depuis 1992 par Bob Injey) est également confrontée à une contestation interne et à la situation ouverte après la chute du mur de Berlin. Quant à la FAGE (présidée par Philippe Touzeau Menoni depuis novembre 1991) si elle connaît des progrès électoraux, elle est en situation de redéfinition notamment dans ses rapports avec les « monodisciplinaires ». Enfin, l’UNI demeure présidée par l’universitaire Jacques Rougeot.

L’annonce du projet suscite l’opposition de la plupart des organisations étudiantes. Le répertoire d’action classique du syndicalisme est utilisé : communiqués de presse, contacts informels entre responsables étudiants et membres des cabinets ministériels, tracts, pétitions. Début novembre, l’UNEF ID annonce que sa pétition a déjà recueilli 70 000 signatures et convoque une réunion des délégués des universités pour le samedi 6 novembre à la Sorbonne.

3 novembre : le gouvernement recule

LE JOURNAL DU DIMANCHE 7 11 1993

Le Journal du dimanche 7 novembre 1993

Commentant un communiqué du ministre à la suite d’incidents survenus les 29 et 30 octobre à Assas et à Dauphine[6], l’article du Monde du 31 octobre, sous le titre « Le ministre de l’enseignement supérieur cherche à calmer l’agitation étudiante », précise : « C’est peu dire que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche prend au sérieux la fièvre soudaine qui parcourt, depuis quelque temps, le monde étudiant et universitaire ». Surtout que la fièvre peut aussi atteindre le social avec des mobilisations à Air France, Chausson, etc. Le gouvernement prendra t’il le risque d’une conjonction entre plusieurs conflits sectoriels ? Les dirigeants étudiants tablent sur le « syndrôme Air France » qui est aussi évoqué à l’Assemblée nationale, comme dans la question d’un député communiste: « D’autres que vous [il s’adresse à François Fillon], je pense en particulier, mais ce n’est pas le seul, à votre collègue des Transports à propos du conflit Air France, ont du revoir leur copie »[7].

Côté institutionnel, Philippe Campinchi a obtenu un rendez-vous – ce qu’Edouard Balladur ne peut ignorer puisque ce rendez-vous est officiel – avec le président François Mitterrand pour évoquer l’ALS. « Nous souhaitions évidemment jouer sur les contradictions au sein de la cohabitation et obtenir le soutien de la plus haute autorité de l’Etat contre ce projet qui nous semblait injuste ». La rencontre aura bien lieu, mais après le recul du gouvernement sur l’ALS [8].

Le 3 novembre à l’Assemblée nationale à une question posée par la députée socialiste Véronique Neiertz, François Fillon répond : « Contrairement aux informations qui circulent, l’allocation logement ne sera supprimée pour personne »[9]. Dans la même séance le député RPR Bruno Bourg-Broc tout en se déclarant favorable à des mesures de justice, s’inquiète : « cette allocation est nécessaire pour de nombreux étudiants […] Un climat d’incompréhension entre le Gouvernement et les étudiants semble en outre se développer sur cette question qui mérite des explications supplémentaires. Il faudrait surement prendre des mesures différentes de celles qui nous ont été annoncées ». Si malgré tout il maintient un projet de travail il ne concernera uniquement que les familles dont le revenu fiscal est supérieur à 20 000 F (3000 €) par mois pour appliquer une baisse et suppression de l’ALS. Mais cette réforme qui n’est qu’envisagée ne s’appliquerait qu’en 1994 pour les nouveaux inscrits étudiants, et en 1995 pour ceux qui bénéficient déjà de l’ALS[10].

La « menace » d’un nouveau mouvement étudiant alors que le sujet est sensible, touchant directement des centaines de milliers d’étudiants, est d’autant plus crédible que mouvement contre la réforme Devaquet intervenu dès la première cohabitation en 1986 est encore dans toutes les mémoires. Dès lors les manifestations prévues comme chaque année à l’occasion de l’examen du budget, actions usuellement routinières, sont susceptibles d’avoir un écho bien plus large dans ce contexte, et ce d’autant qu’elles sont – évènement inédit – appelées en commun par les deux UNEF. En effet, dès le moins de juin avait eu lieu une « rencontre officielle des deux UNEF, la première en date depuis 22 ans »[11]. L’Humanité s’en était fait l’écho avec la publication d’une interview de Bob Injey : « Le gouvernement vient de provoquer la riposte la plus unitaire qu’on ait connue depuis très longtemps dans les universités. A l’image de l’UNEF (SE) et de l’UNEF-ID qui se retrouvent au coude à coude […] A la rentrée il faudra amplifier l’action, de manière unitaire, dans toutes les universités»[7]. Une manifestation est appelée pour le 15 novembre, et un communiqué commun signé par les deux présidents appelle les étudiants à se mobiliser non seulement sur l’ALS mais aussi « sur la question plus générale des conditions d’études et de vie […] de crédits d’urgence ».

Ainsi, François Fillon sauve la face. Il sous-entend qu’il ne s’agit pas d’un recul puisque aucune décision n’était prise, car les chiffres qui circulent ne sont que des « hypothèses de travail ») et tout en maintenant son cap de « justice sociale » il repousse à plus tard sa mise en œuvre aux rentrées 1994 et 1995. Il s’agit pourtant bien d’un recul, accueilli comme tel par les mouvements étudiants comme par les commentateurs. « Pour calmer la grogne dans les universités, le gouvernement renonce à l’essentiel de sa réforme de l’allocation logement pour les étudiants » titre l’article du Monde du 5 novembre.

La réunion du 6 novembre

dossier de l'unef id ALS

Dossier des AGE minoritaires de l’UNEF ID pour le collectif national d’octobre 1993

C’est dans ces conditions que se déroule la rencontre du samedi 6 novembre. S’agissant d’une réunion convoquée par l’UNEF ID, c’est son président qui l’ouvre en mettant en place un bureau. Ce dernier comporte des étudiants de Nantes qui « est en lutte », de Rouen qui « a manifesté avant-hier », d’élus UNEF ID au CNOUS qui ont claqué la porte de la dernière réunion, et une délégation du bureau de l’UNEF SE. Philippe Campinchi annonce les modalités de campagne : dans les amphis, auprès des députés, auprès des maires comme à Rouen, Caen, Angers, Montpellier, Strasbourg et rend compte d’une entrevue avec la commission vie sociale de la Conférence des présidents d’université (CPU). Il en appelle à la « vigilance » car si le gouvernement a décidé de rectifier la mesure, il faut veiller sur les dispositifs réglementaires à venir. Dans la salle, une partie du public scande « retrait total de la réforme », « allocation logement pour tous les étudiants » pour se distinguer de la notion de « solidarité avec les démunis » ; de mêle le « unité pour le retrait » répond à ceux qui affirment « on a gagné ». Nous sommes en effet après l’annonce du 3 novembre (voir plus bas) de Fillon à l’Assemblée et une partie du mouvement semble promouvoir un élargissement de l’action et une méfiance vis-à-vis de manœuvres en vue de faire rentrer le mouvement.

Un tour de table montre la réalité mais aussi le caractère hétérogène entre les universités touchées par de grosses mobilisations, et d’autres où il n’y a eu que quelques réunions restreintes. Anne, de Nantes, rappelle que la mobilisation dure depuis quinze jours, avec 5000 étudiants qui en appellent à la grève, « la réunification, nous la vivons tous les jours et pas seulement dans les bla bla », l’ALS est une des revendications mais pas la seule puisque c’est le budget qui est important. Elle aussi tempère : « comment appeler victoire quelque chose qui n’est qu’un recul du gouvernement. Ca me rappelle 1986 ». A Rouen, la mobilisation ne porte pas sur l’ALS « mais sur des problèmes locaux ». Il y a eu le 4 1500 à 2000 manifestants, et le 5 une assemblée générale d’un millier d’étudiants. Rouen se joint à l’appel de Nantes et de Toulouse pour une journée d’action le 9 novembre. A Strasbourg en revanche si la pétition à recueilli 1500 signatures, les AG sont restreintes (il y en a eu trois avec 140, 40 puis 60 présents).Là, il ne s’agit pas seulement de l’ALS, mais des locaux (y compris la question de la « récupération des locaux syndicaux ») et de l’anonymat des copies.

La délégation du BN de l’UNEF SE s’exprime alors soulignant l’importance de ce « premier recul » qu’il ne « faut pas sous-estimer » et ceci doit être un encouragement car il y a besoin d’un mouvement très large. Un travail unitaire doit être mené « au délà des appareils et des états-majors ». L’UNEF ID appelle à manifester les 9 et 15 novembre, ce sont des décisions à prendre dans les universités. Philippe Campinchi confirme : la mobilisation « ne se décrète pas ; les syndicats sont là pour donner un outil au mouvement social ». Enfin Emmanuelle Paradis (dissidente de la majorité nationale de l’UNEF ID) confirme ce que pense une partie de la salle, notamment les universités en grève : face à un budget qui est global, national, et pas seulement une somme de problèmes locaux, il faut faire attention à la division des étudiants fac par fac et construire un rapport de force.

Les nouveaux rendez-vous sont donc fixés pour le 9 novembre dans les villes, le 15 novembre à l’Assemblée nationale avec une coordination nationale

Une mobilisation qui dure et s’amplifie sur le budget

La menace levée sur l’ALS ne calme pas la grogne étudiante. Le 9 novembre plusieurs milliers d’étudiants manifestent notamment en province, avant la grande manifestation prévue le 15. La mobilisation paraît encouragée par ce recul. « Ayant obtenu satisfaction sur ce premier point (l’ALS) les étudiants entendaient protester cette fois contre les difficultés matérielles de la rentrée »[13]. Entre 8 à 10 000 étudiants manifestent le 15 entre la Sorbonne et l’Assemblée nationale où des délégations sont reçues par les groupes parlementaires. A l’UDF (centristes) on invite les étudiants à se retourner vers les collectivités locales. Au RPR la délégation est reçue par Pons et Raoult, qui tout en confirmant qu’ils voteront le budget se déclarent prêts pour un collectif budgétaire pour des crédits d’urgence. Côté PS c’est un étudiant de la LEAS (oppositionnel LCR de l’UNEF ID) qui rencontre les députés. Le PCF soutient le mouvement et se déclarent contents de l’unité réalisée entre les UNEF. Philippe Campinchi quant à lui rencontre le président de l’Assemblée, Philippe Seguin, qui met les difficultés sur le dos du gouvernement (PS) précédent et qui se déclare conscient « des difficultés matérielles du monde étudiant ». A l’interfac ensuite l’on fait les comptes-rendus de ces entrevues. Philippe Campinchi propose une nouvelle manifestation le 18 novembre avec AG dans les facultés et une coordination avec 5 par université, concluant « c’est comme ça qu’en 1990 les lycéens ont gagné » (NOTE). Bob Injey estime qu’il faut que « le mouvement se dote de structures démocratiques ». la discussion qui suit est houleuse ( « la province à la tribune », « BN dehors », « non à la bureaucratie du BN »), au point que la majorité du BN de l’UNEF ID et d’une partie de l’UNEF SE quittent la salle. La discussion s’élargit à « l’autonomie » des universités, le droit d’asile. Une nouvelle manif est prévue pour le 18 novembre avec une coordination le soir et les présents se séparent en scandant « étudiants, salariés, solidarité ». Mais la mobilisation s’effiloche, les étudiants reprennent le chemin des cours tandis que des lycéens rejoignent la rue.

Vers un nouveau paysage syndical étudiant

Ce qui se manifeste dans cette réunion ce sont les restructurations syndicales en cours. D’une part c’est l’avenir des rapports des forces dans l’UNEF ID que les « dissidents » vont conquérir à la fin 1994 [14] les rapports entre les deux UNEF et plus largement les relations des syndicalistes étudiants avec le reste des organisations de jeunesse et les organisations syndicales de salariés

tract uec sur manif 15 nov

tract de l’UEC pour la manifestation du 15 novembre

Philippe Campinchi, c’est un évènement, est présent et intervient au congrès de l’UNEF. «Vingt-deux ans, c’est long, beaucoup trop long», rappelant que les deux syndicats ont agi en commun contre la réforme de l’ALS, obtenant que le gouvernement revoie sa copie. «Le mouvement étudiant peut gagner, […] car ceux qui seront dans la rue lundi sont les lycéens de 1990 qui avaient gagné quelques milliards à l’époque»[15]. Dans l’Humanité du 15 novembre, journée d’action et de manifestations, les deux présidents sont interviewés et vont dans le même sens. Pour Philippe Campinchi il faut « mesurer que jusqu’ici, du moins pour les quinze dernières années, les luttes étudiantes n’avaient rien obtenu en matière budgétaire. Cette situation pesait négativement. La nouveauté, c’est que beaucoup de ceux qui sont dans l’action aujourd’hui ont participé au grand mouvement lycéen de 1990 qui avait arraché plusieurs milliards de francs. Ils amènent donc l’idée qu’il est possible de gagner sur ce terrain aussi ». Bob Injey insiste sur la portée de la question. « Beaucoup d’observateurs ont cru déceler dans la remise en cause de l’allocation logement (ALS) la raison du mouvement. C’est vrai que la colère était grande. Mais le malaise est si profond qu’on s’est très vite aperçu que la mobilisation s’effectue sur la question plus générale des conditions d’études et de vie. Les manifestations de ces derniers jours expriment l’exigence de moyens pour les locaux, pour des postes de professeurs et de personnels non enseignants en nombre suffisant. L’idée qu’il faut des crédits d’urgence est devenue la revendication d’un très grand nombre d’étudiants. Nouvelle aussi, la forte aspiration à être tous ensemble pour gagner. C’est dans ce cadre que l’appel unitaire UNEF, UNEF-ID constitue un atout supplémentaire pour le développement de la lutte ». Jusqu’en décembre, mais surtout dans certaines villes de province et beaucoup moins dans la région capitale, des assemblées générales, des grèves, des manifestations avec parfois – comme à Nantes, des affrontements. Les deux UNEF appellent ensemble à des réunions de coordinations de délégués d’assemblées générales et des facultés en grève mais la nature même des mobilisations budgétaires induit une localisation des mobilisations et une individualisation des négociations, chaque université

Ouest France 13 et 14 novembre 1993

Ouest France 13 et 14 novembre 1993

ayant ses problèmes spécifiques. L’intérêt pour les étudiants va au-delà des syndicats étudiants. Le 4 décembre, le nouveau secrétaire général du CCJ-CGT (Centre confédéral de la jeunesse), Pierre Jean Rozet, réunit les deux UNEF, la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne), les Pionniers de France, le MJCF (jeunesses communistes), le MJS (jeunesses socialistes), « Turbulences » (jeunes de la CFDT), le secteur jeunesse de FO. Type de configurations liant étudiants et organisations professionnelles que l’on va retrouver dès le début 1994 au moment du CIP[16], et treize ans plus tard avec la mobilisation de 2006 contre le CPE (Contrat première embauche).

Jamais abandonnée : la remise en cause de l’ALS

ALSUNI

L’UNI défend l’ALS face au gouvernement de gauche. Col Cité des mémoires étudiantes

Après les échecs gouvernementaux face à la censure du Conseil constitutionnel sur la loi réformant le gouvernement des universités (juillet 1993) et à la menace de la rue (ALS, CIP), François Fillon choisit une « manière douce », désignant le président de l’université Marne-la-Vallée, Daniel Laurent, pour rédiger un rapport. Le « rapport Laurent », intitulé « Universités : relever le défi du nombre »[17] est déposé en janvier 1995, il préconise une décentralisation de l’enseignement supérieur et une réforme des droits d’inscription et de l’aide sociale aux étudiants avec dans sa « ligne de mire » l’ALS. La réaction est immédiate : la majorité des syndicats des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche, se retrouve au coude à coude avec les organisations étudiantes. A quelques mois des élections présidentielles il n’est pas question pour le candidat Balladur de handicaper sa campagne avec une telle fronde aux effets imprévisibles. Le rapport continuera à vivre sa vie de énième rapport…

Après les élections de 1995 qui voient Jacques Chirac porté à la présidence de la République avec Alain Juppé comme Premier ministre à nouveau la question de l’ALS est posée, « la réforme revient sur le devant de la scène »[17]. Le rapporteur de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Philippe Auberger, propose un amendement pour le budget 1996 en vue d’apporter des restrictions à l’ALS. La FAGE, les deux UNEF s’y opposent vivement, la question globale du statut social de l’étudiant est posée, le ministre de l’Education nationale François Bayrou, est chargé de sa mise en œuvre. Entretemps les mobilisations sociales de 1995 contre le « plan Juppé » de réforme des retraites ont amené au premier recul social du gouvernement Chirac-Juppé.

Ni la première, ni la dernière tentative de réforme de l’ALS…

 [1] Le Monde, 25 septembre 1993.

[2] Idem.

[3] Trentième anniversaire de l’ENSAM de Bordeaux, Les Echos, 2 novembre 1993.

[4] Jean-Yves le Déaut, débat budgétaire, Assemblée nationale, séance du 15 novembre 1993, JOAN débats, p 5804.

[5] L’Express, 11 novembre 1993.

[6] Romain Vila, Les relations entre L(es)’UNEF et la CGT : méfiance, polarisation, convergence (mai 68-avril 2006) Les relations entre L(es)’UNEF et la CGT : méfiance, polarisation, convergence (mai 68-avril 2006). Mémoire de master Sciences des sociétés et de leur environnement, mention science politique, spécialité sociologie politique (2ème année). Sophie Beroud (dir.), IEP Lyon 2, 2008.

[7] L’Humanité, 24 juin 1993.

[8] « Trois rencontres », témoignage de Philippe Campinchi, 10 septembre 2004, Institut François Mitterrand.

[11] Agression par l’extrême-droite d’une distribution de tracts UNEF sur l’allocation logement et les conditions de rentrée, puis contre une conférence sur le droit d’asile à l’initiative de l’UNEF-ID avec SOS-racisme.

[7] Jean-Claude Gayssot, 2ème séance du 15 novembre 1993, JOAN p 5801.

[9] JOAN, 2ème séance du 3 novembre 1993, p 5289.

[10] JOAN, 2ème séance du 3 novembre 1993, p 5295.

[13] Le Monde 11 novembre 1993.

[14] Le Point du 4 décembre qualifie cet épisode du 15 novembre de« putsch ».

[15] L’Humanité du 13 novembre 1993.

[16] Contrat d’insertion professionnelle, intégré dans la « Loi quinquennale pour l’emploi » le 31 décembre 1993 par le gouvernement Balladur qui le retire rapidement après les premières mobilisations étudiantes du début 1994. A la suite sera lancée une « consultation nationale de la jeunesse », créée l’AFIJ (Association formation et insertion pour les jeunes), et une « charte des stages » élaborée par des organisations étudiantes et confédérales.

[17] La Documentation française, 1995.

[18] Les Echos, 16 octobre 1995.

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