lecture : Patrick Balcaen, Mouvements étudiants

Patrick BALCAEN Mouvements étudiants Editions Labor – Bruxelles 1995. Belgique, 1994. Le décret Lebrun, réorganisant l’enseignement supérieur hors université en 25 grandes écoles, est voté le 20 octobre 1994 au Conseil de la communauté française. Deux jours auparavant, 20 000 étudiants manifestent à Bruxelles pour demander le report du vote. Le 27 octobre, 30 000 étudiants manifestent à Liège pour exiger le retrait du texte. Le 7 novembre, le décret Lebrun est suspendu, ce qui n’empêche pas le 9 novembre 30 000 étudiants de manifester leur vigilance à Namur. A l’échelle de la Belgique, c’est une mobilisation étudiante équivalente à celle de 1986 en France. La comparaison pourrait aller plus loin, mais il faut prendre en compte la spécificité Belge. Etat fédéral (avec Bruxelles, La Flandre et la Wallonie), de petite taille – permettant que les manifestations «centrales» aient lieu dans une ville ou une autre – le paysage politico-syndical étudiant ne ressemble pas à celui de la France. D’où l’intérêt du premier chapitre «les précurseurs».  «Le mouvement étudiant est peu structuré. Il fonctionne par à-coups au gré des réformes». Mais depuis le début de la décennie, «des associations étudiantes soucieuses de dépasser la guindaille (le folklore) commencent pourtant à voir le jour». Ces associations sont différentes suivant les facultés ou les écoles, tant en fonction de leurs orientations que de l’attitude des autorités. Dans certaines, elles participent au Conseil d’administration, dans d’autres non. A Bruxelles, en 1989 les écoles supérieures se groupent dans l’ACEES qui initiera sa première mobilisation de masse par une manifestation de 9 000 étudiants contre le permis à points. L’AGEC se crée à Charleroi en 1993 et mobilise car la ville allait offrir des facilités à l’Université Libre de Bruxelles «qu’on n’avait pas pour les écoles supérieures».

Pourtant, il a existé une organisation dans les années 60 : le MUBEF, qui joua un rôle équivalent à celui de l’UNEF. Au début des années 70, se crée la FOFEB (Fédération des organisations francophones des étudiants de Belgique) mais l’adhésion ne se fait plus sur une base individuelle. Ce sont les assemblées locales qui en sont les composantes.  En 1979, cette organisation devient le FEF (Front des étudiants francophones) dans la foulée d’une victoire contre le projet de remplacement des bourses par des prêts. Elle «abandonne implicitement la technique des grands rassemblements de masse […] elle va tabler sur l’information la plus large du grand public, la formation des étudiants et le lobbying des représentants politiques […] Compter sur des manifestations pour faire bouger un homme politique devient de plus en plus illusoire […] elle s’engage alors dans un travail de présence médiatique», tout en développant des analyses sur l’enseignement et un projet qui s’oppose à sa «marchandisation».

On a donc à la veille de la mobilisation de 1994  un monde étudiant structuré : la FEF en Université, et des associations en Ecoles supérieures, ayant certes «des spécificités qui s’opposent» (même si «la distinction entre système universitaire et non universitaire est de moins en moins aisée à identifier»), mais qui ont accumulé réflexions revendicatives, savoir-faire médiatique et de «groupe de pression». «Les étudiants bénéficient de l’enthousiasme et de la spontanéité, mais aussi de l’expérience et d’une relative structuration».

Les chapitres qui suivent décrivent le projet de réforme, la situation de l’enseignement supérieur belge, la lutte, sa structuration en coordinations, les débats autour de la conduite de l’action, de la «police» des manifestations, et bien sûr, autour de la négociation qui s’est engagée avec le gouvernement. Le décret sera suspendu, et des «Assises de l’enseignement» sont prévues entre étudiants et gouvernement .

Enfin, nous retrouvons en Belgique, comme en France ou en Allemagne, le même débat sur la «dépolitisation», mais l’auteur explique fort justement que «Derrière le «poujadisme» que l’on a attribué aux étudiants, émerge donc tout d’abord le questionnement de certaines pratiques politiques (alors que les étudiants)  ont participé à l’élaboration d’un texte qui laisse la place aux acteurs de la base».

Dans la postface, le président de la FEF, Philippe Henry, conclut. «Une «carrière» étudiante ne dur jamais longtemps, contrairement à ce qui se passe dans d’autres organisations représentatives, ou pour les élus politiques. C’est sans doute cela qui nous permet de ne pas nous «figer» et d’éviter que certains ne s’accrochent trop «au pouvoir» […] « Et puis ce souci permanent de rendre la participation réelle sur le terrain est le moyen de ne pas tomber dans le piège de la «professionnalisation».

Robi Morder

Les Cahiers du Germe trimestriel n° 7/8 – 2° et 3° trimestre 1998

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