Il y a 80 ans, la rafle du 25 novembre 1943 à l’université de Strasbourg à Clermont-Ferrand.

80 ans rafleEn 1939, selon un plan établi en cas de menace d’invasion allemande, l’université de Strasbourg se transporte à Clermont-Ferrand. 200 wagons sont chargés de matériel.175 enseignants et 1500 étudiants y reconstruisent dans des conditions difficiles la vie universitaire. Quand Strasbourg est occupée en 1940, le restaurant universitaire est fermé[1]. Il a continué à fonctionner à Clermont, toujours géré par l’association générale étudiante, l’AFGES, sous son nom de Gallia.

La zone sud est occupée par l’armée allemande après le 11 novembre 1942. La résistance se développe dans cette communauté universitaire de plus de 2000 personnes. Le 25 novembre 1943, plus de 1 200 étudiants et personnels de l’université de Strasbourg, sont arrêtés par les policiers et soldats allemands, qui quadrillent le quartier des étudiants et des personnels de l’université de Strasbourg.130 d’entre eux seront déportés. Il s’agit de la plus grande rafle qui ait eu lieu dans une université pendant la Seconde Guerre mondiale

La ville de Clermont-Ferrand abrite depuis novembre 1939 l’Université de Strasbourg, ce qui signifie que l’association des étudiant·e·s strasbourgeoi·se·s, l’AFGES, s’y installe également. De plus, le bureau national de l’UNEF, représenté par Jean David, s’installe lui aussi à Clermont-Ferrand[2]. La présence de ces deux organisations dans les mêmes espaces (cité universitaire et facultés) laisse supposer des contacts fréquents et rapprochés avec l’AGEC (AGE de Clermont-Ferrand).. Malheureusement aucune information dans les archives consultées ne permet d’expliciter les rapports ou l’absence de rapports entre ces trois structures, en dehors du partage du local avec l’UN et de la fusion des chorales universitaires de Strasbourg et Clermont.

La résistance strasbourgeoise et clermontoise.

03 AFGES RAFLE 1943L’Université de Strasbourg à Clermont-Ferrand n’est pas, uniquement “revancharde”, elle devient dès son installation à Clermont-Ferrand un important foyer de résistance[3]. C’est sur le plateau de Gergovie, à proximité de Clermont-Ferrand, que de nombreuses activités de résistance vont s’élaborer. En effet, un centre de fouille archéologique à destination des étudiant·e·s alsacien·ne·s est crée à l’automne 1940 avec l’aide d’un professeur d’histoire, Gaston Zeller et du général de Lattre de Tassigny. Ce lieu a également vocation à accueillir les étudiant·e·s durant les vacances puisqu’ils/elles ne peuvent rentrer à Strasbourg[4]. C’est en partie dans cette maison, que le groupe Combat-étudiant s’organisera autour d’étudiant·e·s de l’Université de Strasbourg. A titre d’exemple, nous pouvons citer : Mme Normandat[5] ; Jean-Paul Cauchi (parfois écrit Cauchy), étudiant en lettres, déporté en 1944 ; André Levy, étudiant en droit[6] ou encore Robert Walter Edward dit Teddy Piat, déporté en 1943. De nombreux autres de ses membres seront arrêtés jusqu’à la libération[7].

La frontière entre les deux universités n’étant réelle que d’un point de vue administratif, Combat-étudiant s’est allié durant toute son existence aux enseignant·e·s des deux universités, notamment dans la préparation des attentats. C’est par exemple le cas en mars 1942, où « “Combat” se manifeste à Clermont-Ferrand par la destruction des glaces d’un magasin de la place de Jaude où est exposé le Moniteur. Teddy Piat, étudiant en histoire, lance la première bombe artisanale sortie des laboratoires du professeur Emmanuel Dubois, doyen de la faculté des sciences de Clermont-Ferrand »[8]. L’histoire de ce groupe s’assombrit à la rentrée universitaire 1942-1943. Cherchant à remplacer son adjoint Stuzi qui vient d’être arrêté, Jean-Claude Cauchi délègue de nombreuses attributions à un étudiant en lettres, Georges Mathieu lequel renseignait la Gestapo et sera à la source de la rafle du 25 novembre 1943[9].

Combat-étudiant n’était évidemment pas le seul groupe de résistance au sein des deux universités. Plusieurs autres étudiant·e·s seront arrêtés pour la distribution de tracts anti-gouvernementaux et le collage d’affiches, tel que Jacques Cabannes et Emmanuel Bulz, tous deux étudiants en lettres, qui seront condamnés à de la prison avec sursis[10]. Emile Gerschel, 23 ans, étudiant en lettres, et Paul Weil[11], 26 ans, étudiant à la faculté de médecine de Strasbourg, puis transféré à celle de Clermont suite au numérus clausus, n’échapperont quant a eux pas à de très lourdes peines, respectivement 20 ans et 5 ans de travaux forcés, pour la distribution du journal Franc Tireur. Ils sont également soupçonnés avoir participé à un attentat à l’explosif à Vichy, dans la nuit du 2 au 3 novembre 1942[12].

Parmi les tracts communistes distribués dans les vestiaires d’amphithéâtres ou à la uité universitaire[13], un exemplaire du journal La Relève est conservé aux archives départementales. Il est malheureusement en très mauvais état, l’encre étant partiellement effacée. On peut néanmoins y lire ceci : « A deux reprises des barrages de flics ont arrêté des cortèges d’étudiants qui se proposaient de faire de la “réclame pour le Secours d’hiver”. En haut lieu on a eu peur que les étudiants de Clermont rassemblés avec ceux de Strasbourg clament leur amour de l’indépendance nationale et risquent de froisser les fridolins de l’Hôtel Magestic »[14].

L’action militante en milieu étudiant : quels liens avec l’AGEC ?

04 AFGES UEP 1943L’Union fédérale des étudiants impliquée avant-guerre au sein de l’AGEC entre en clandestinité au début du conflit, rassemblant étudiant·e·s et lycéen·ne·s. Ses militant·e·s organisent notamment la diffusion de tracts et de journaux[15]. Yves Moreau, ancien président de l’amicale des lettres et ancien rédacteur en chef du Gay Sçavoir, n’est plus étudiant à Clermont, mais à Montpellier quand il s’engage dans la résistance à l’automne 1940[16]. D’autres résistant·e·s communistes peuvent être cités. On retrouve par exemple Yvon Djian, secrétaire national de l’Union des étudiants communistes qui est de passage à Clermont-Ferrand en 1940, qu’il quitte à la fin de l’année suite à l’organisation d’une diffusion de tract[17]. Trois autres militant·e·s étudiant·e·s communistes sont mentionné·e·s dans sa biographie du Maitron : Nicole Joubert, Marc Lefort et Colette Sellier[18].

Colette Sellier est étudiante de l’Université de Strasbourg à Clermont-Ferrand en 1939. Militante communiste, elle est également vice-présidente de l’amicale des sciences. Elle est arrêtée en janvier 1941, en possession de la brochure communiste Les Cahiers du Bolchevisme et suite à la diffusion de tracts[19]. Elle sera par la suite incarcérée à Riom jusqu’en janvier 1943[20]. Son parcours de résistante et de militante ne s’arrête cependant pas ici, mais continue loin de Clermont-Ferrand et du sujet qui nous occupe. Nicole Joubert est quant à elle arrêtée dès l’automne 1940 pour « reconstitution du groupement des Étudiants communistes »[21].  Enfin, Georges Bellot le président de l’AGEC est désigné par Stéphane Merceron comme membre de la Résistance[22].

Les rafles et la déportation des étudiant·e·s

Clermont-Ferrand est occupée le 11 novembre 1942. La première rafle d’ampleur au sein du milieu étudiant est celle du foyer Gallia, abritant les étudiant·e·s de l’Université de Strasbourg le 25 juin1943. Cette rafle fait suite à la mort de deux membres de la Gestapo, la veille, tués dans la maison d’un professeur, M. Flandin, membre du groupe Combat. D’après le témoignage de Paul Hagenmuller, les étudiant·e·s du foyer avaient peur des représailles, « la consigne passa [dans le foyer] de faire disparaître tout ce qu’il pouvait y avoir d’armes et de tracts dans la maison »[23]. Une partie des étudiant·e·s avaient même décidé d’avancer leur départ en vacances, mais la rafle eu lieu dans la nuit. Trente-sept ou 39 étudiants, donc cinq juifs[24], furent rassemblés en pyjama dans l’entrée, il semble qu’« au moins onze d’entre-eux appartiennent à une organisation de résistance »[25]. Toujours d’après le témoignage de Paul Hagenmuller, « Inutile, leur a-t-on dit, de prendre des affaires, vous serez fusillés »[26]. André Lobstein livre lui aussi un témoignage similaire[27]. Tous seront déportés à Compiègne ou à Drancy, puis en Allemagne, dix d’entre eux ne survivront pas[28].

04 afges fusilles gallia

Liste reproduite dans De l’Université aux camps de concentration.

Quelques mois plus tard, le 25 novembre 1943, une seconde rafle a lieu au sein même des bâtiments universitaires, ciblant Clermont comme Strasbourg. Au total, avec l’aide de Georges Mathieu, étudiant au service de la Gestapo, plus de 500 personnes sont arrêtées ce jour-là, entre 110 et 130 d’entre-elles sont déportées et seulement une trentaine survécurent[29]. De plus, deux personnes sont assassinées durant la rafle, Henri Blanchet, collégien, et Paul Collomp, résistant et professeur de l’Université de Strasbourg. Certains étudiant·e·s résistant·e·s réussirent à échapper à cette rafle, c’est le cas de Jacqueline Bromberger, étudiante à l’Université de Strasbourg et résistante au sein du mouvement Combat étudiant[30]. Comme le souligne, Julien Bouchet, « la rafle du 25 novembre 1943 doit être replacée dans son environnement local et plus général, ce qui permet de mesurer en quoi elle constitue un évènement-clef de l’histoire de Clermont sous l’Occupation. L’objectif principal des nazis et de leurs auxiliaires zélés était de tuer dans l’oeuf un pôle de résistance civile et armée qui menaçait l’ordre nazi par sa densification et sa liaison avec plusieurs réseaux de renseignement »[31].

En dépit de l’importance des rafles au sein des deux universités, les arrestations d’étudiant·e·s se poursuivent. Suite à une attaque subie par la police allemande le 8 mars 1944 dans les rues de Clermont, faisant 20 blessés parmi la police, une rafle est ordonnée au sein du Cercle Saint-Louis le jour même (siège des associations catholiques d’étudiants). Face à la crainte d’être arbitrairement arrêté entre chez eux et l’université, une partie des étudiant·e·s ne se sont pas rendus en cours pendant plusieurs jours. Malgré cela, de nombreux·ses étudiant·e·s seront arrêtés par la police allemande les 9 et 10 mars 1944 (37 noms selon une liste manuscrite et 47 selon une seconde liste). [32].

Quelques éléments de bibliographie

Bernard Mathias, 1943. La rafle de l’université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand, Ed. Midi-Pyrénéennes, 2022, sur Calameo

Bouchet Julien, « De la rafle du 25 novembre 1943 à la vie dans les camps » dans Florence Faberon (ed.), Au défi de l’occupation ennemie: protection, résistance et résilience, Clermont-Ferrand, France, UCA, 2020, p. 93‑105.

Le Normand Éric, « La résistance des Alsaciens à Clermont-Ferrand » dans Florence Faberon (ed.), Au défi de l’occupation ennemie: protection, résistance et résilience, Clermont-Ferrand, France, UCA, 2020, p. 109‑121.

Merceron Stéphane, « L’UNEF des années noires », Les Cahiers du GERME, mars 1996, n°1 spécial, p. 7‑14, et dossier Les Cahiers du GERME n° 32, 2021.

Strauss Léon, « L’Université de Strasbourg repliée. Vichy et les Allemands » dans André Gueslin (ed.), Les facs sous Vichy: étudiants, universitaires et universités de France pendant la Seconde guerre mondiale actes du colloque des Universités de Clermont-Ferrand et de Strasbourg,.Novembre 1993, Clermont-Ferrand, Institut d’études du Massif central, Institut d’études du Massif Central (coll. « Prestige 6 »), 1994, p. 87‑112.

Témoignages strasbourgeois : de l’université aux camps de concentration (4e éd., Reprod. en fac-sim.), s.l., 1947.

L’école et la Résistance : Clermont-Ferrand et l’Université de Strasbourg, AD Puy-de-Dôme.

80e anniversaire de la rafle, Université de Strasbourg,

« Rafles de 1943 : les trois sites qui gardent la mémoire des étudiants de l’université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand », La Montagne, 20 novembre 2023.

Dossier « Les étudiants de France de l’occupation à l’après-guerre », Les Cahiers du Germe, n° 25 actualisé dans le n° 33, 2021.

Sur le site du Germe, articles et notices sur la période de la guerre et de l’occupation.

[1] En 1942, le Curator allemand de l’Université décida de rouvrir le restaurant, mais l’affecta en partie à des organisations nazies, et en partie aux étudiants et professeurs. Voir l’article d’Olivier Raeis sur le site du Germe.

[2]Robi Morder, « Lettre de Jean David », consulté le 10/06/2022.

[3]Éric Le Normand, « La résistance des Alsaciens à Clermont-Ferrand » dans Florence Faberon (ed.), Au défi de l’occupation ennemie: protection, résistance et résilience, Clermont-Ferrand, France, UCA, 2020, p. 110.

[4]Gilles Lévy et Francis Cordet, À nous, Auvergne !, Presses de la Cité., Paris, 1990, p. 27.

[5]Fabrice Bourrée, Sources : archives nationales, 72AJ45-III, pièce 11, consulté le 09/06/2022

[6] André Lévy [Pseudonyme dans la Résistance : Bernard BONDUEL], , consulté le 09/06/2022

[7]Éric. Le Normand, « La résistance des Alsaciens à Clermont-Ferrand », art cit, p. 115.

[8]Gilles Lévy et Françoise Cordet, À nous, Auvergne !, op. cit., p. 31.

[9]Ibid., p. 52.

[10]Archives départementales du Puy-de-Dôme, Fonds des Universités, 2078W31, 2078W22 et 418W14; http://www.ajpn.org/personne-Bulz-Emmanuel-2116.html, consulté le 12 janvier 2022.

[11] http://museedelaresistanceenligne.org/media7301-Paul-Weil-A

[12]Archives départementales du Puy-de-Dôme, Fond du rectorat de l’académie de Clermont-Ferrand, 418W16, Correspondances du rectorat pendant la période de guerre, juillet-août-septembre 1943.

[13]Ibid. 418W10, Correspondances du rectorat pendant la période de guerre, octobre-novembre 1940.

[14]Ibid., Fonds des Universités, 2078W85, Journal La Relève, décembre 1940.

[15]Gilles Lévy et Françoise Cordet, À nous, Auvergne !, op. cit., p. 21.

[16]Alain Monchablon, « Biographie Yves Moreau », consulté le 10/06/2022 ; https://maitron.fr/spip.php?article50087, notice MOREAU Yves, Fernand. par Claude Willard, version mise en ligne le 5 mai 2009, dernière modification le 8 décembre 2020..

[17]https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article22765, consulté le 12 janvier 2022.

[18] Colette Sellier avait envoyé un témoignage à l’occasion du séminaire du Germe du 27 novembre 2000 (« Résistances lycéennes ») à La contemporaine, publié dans Les Cahiers du Germe n° 25, puis n° 33, page 81.

[19]Archives départementales du Puy-de-Dôme, Fond du rectorat de l’académie de Clermont-Ferrand, 418W30, Lettre au doyen de la faculté des sciences, 15 janvier 1941.

[20] notice BLOCH Colette [née SELLIER Colette] par Alain Dalançon, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 16 octobre 2020.

[21] notice JOUBERT Nicole [épouse VEDRINES puis RAMBURE] par Jean-Pierre Besse, Eric Panthou, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 15 mars 2019.

[22]Stéphane Merceron, « L’UNEF des années noires », art cit, p. 13.

[23]Paul Hagenmuller dansTémoignages strasbourgeois : de l’université aux camps de concentration (4e éd., Reprod. en fac-sim.), s.l., 1947, p. 1‑4.

[24]Julien Bouchet, « De la rafle du 25 novembre 1943 à la vie dans les camps », art cit, p. 95.

[25]Éric Le Normand, « La résistance des Alsaciens à Clermont-Ferrand », art cit, p. 113.

[26]Paul Hagenmuller dansTémoignages strasbourgeois : de l’université aux camps de concentration (4e éd., Reprod. en fac-sim.), op. cit., p. 1‑4.

[27]https://www.cuej.info/dossiers-multimedias/etudiants-en-temps-de-guerre/resister-et-subir, consulté le 14 juin 2022.

[28]Éric Le Normand, « La résistance des Alsaciens à Clermont-Ferrand », art cit, p. 113.

[29]Voir notamment les témoignages de Geneviéve Helmer, Mathilde Fritz et Marie-José Zilhardt dansTémoignages strasbourgeois : de l’université aux camps de concentration (4e éd., Reprod. en fac-sim.), op. cit.

[30]Julien Bouchet, « De la rafle du 25 novembre 1943 à la vie dans les camps », art cit.

[31]Ibid., p. 104.

[32]Archives départementales du Puy-de-Dôme, Fond du Rectorat de l’académie de Clermont, 1455W195.

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