C’était il y a cent cinquante ans : 1865, le premier congrès international des étudiants.

Congrès des étudiantsA Liège, en Belgique, du 29 octobre au 1er novembre 1865, quelque 1400 étudiants d’Europe ( dont 170 « anciens ») sont réunis. L’initiative en revient aux étudiants de Liège, groupés en association générale, qui en assurent seuls l’organisation. Le but est de lancer un échange d’informations sur l’état du système d’enseignement dans les pays européens, en mettant l’accent sur l’enseignement supérieur, et d’en tirer une série de réformes à proposer. Il s’agit de donner pour la première fois la parole au « corps enseigné » et d’ouvrir la voie à une démocratisation (le mot n’est pas employé) de l’enseignement.

La réunion se voulait ouverte, des invitations ayant été lancées à toutes les universités de Belgique, tandis que la commission permanente chargée de la préparation s’était donné un vice-président catholique ; en France un comité de patronage présidé par l’universitaire Henri Wallon soutint l’initiative. Douze personnalités furent également invitées, dont huit Français, selon une distribution équilibrée : quatre conservateurs (François Guizot, Adolphe Thiers, Mgr Dupanloup, Victor Duruy) et quatre progressistes (Emile Littré, Jules Simon, Eugène Pelletan et Victor Hugo, qui s’excusa mais envoya une lettre d’encouragement). Aucun ne vint.

En fait, avant même son ouverture, le congrès essuya de nombreux refus : « semoncés par le recteur » les étudiants de l’Université catholique de Louvain, la plus grande de Belgique, se refusèrent à venir en corps, et se trouvèrent en petit nombre (trente sept) à Liège. Ceux de Gand (95) et surtout de l’Université libre de Bruxelles furent plus nombreux (190). En revanche aucun universitaire ne vint au congrès, pas même de Liège , alors que 750 des 786 étudiants de Liège y participèrent. D’ailleurs l’Université refusa de prêter ses locaux et même d’accorder les congés nécessaires. En revanche les étudiants purent compter sur l’appui du gouvernement et de la municipalité libérale qui fournit les facilités matérielles, le bourgmestre accueillant les congressistes en faisant l’éloge de la liberté de pensée et de la liberté d’expression. En France les autorités firent obstruction à l’envoi de délégués étudiants. Pourtant les Français furent les plus nombreux des étudiants étrangers : 72 face à vingt Hollandais, huit Moldo-Valaques, quatre des Etats allemands, deux Espagnols…. Il n’y avait évidemment pas d’étudiantes.

En fait les interventions spectaculaires des Français donnèrent aux débats un tour inattendu. Leur arrivée en cortège la veille du congrès, saluée par la Marseillaise, donna le ton : coiffés de chapeaux à larges bords, sacs au dos et barbes au vent, ils firent sensation. Le lendemain, à l’ouverture, ils récusèrent les drapeaux tricolores disposés dans la salle aux côtés des drapeaux verts des étudiants de Liège, et prônèrent le drapeau rouge. Du coup tous les drapeaux furent retirés de la salle des séances.

Les étudiants de Liège avaient prévu des débats en séance plénière suivis d’un travail en commissions, appelées « sections », suivant les disciplines universitaires de droit, sciences et médecine. Et de fait les propositions ne manquèrent pas dans ces sections : indépendance de l’Université à l’égard de l’Etat, pluralisme des chaires, en particulier en droit, prééminence du droit civil sur le droit romain, impression des cours magistraux, participation des étudiants à l’élection des professeurs, publicité des délibérations des jurys, ouverture tardive des bibliothèques, création de cours de langues étrangères, introduction de cours pratiques de physique et d’économie des chemins de fer.

Mais trois journées sur quatre furent consacrées au débat général, où s’illustrèrent les Français. Malgré les mises en garde contre les « excès de langage » et les « propositions incendiaires », malgré les protestations d’une bonne part de l’assistance qui demandait qu’on en restât aux questions d’enseignement, ils firent assaut de professions de foi révolutionnaires. Affirmant leur athéisme et leur matérialisme, ils dénoncèrent la religion mais aussi le « spiritualisme » des autres orateurs. Ils vitupérèrent l’Université française et « les professeurs accroupis comme des squelettes dans leurs chaires ». Vilipendant le pouvoir bonapartiste et sa mainmise sur l’Université, refusant de parler de gouvernement français, mais seulement de « gouvernement qui règne en France », ils considéraient n’avoir rien à solliciter du pouvoir. Au reste ils donnaient priorité au politique sur toute autre considération : « hors la révolution pas de bien-être, hors le bien-être pas d’instruction », déclara Eugène Protot, qui se prononça également contre l’instruction obligatoire, dont le coût retomberait sur le peuple. Protot était blanquiste, comme la plupart des orateurs français, Paul Lafargue, Gustave Tridon, Aristide Rey, Albert Regnard, Ernest Granger, Raoul Rigault, Victor Jaclar…. Des noms que l’on retrouve dans l’histoire de la Commune de Paris en 1871.

Le succès de scandale fut partout considérable, bien que pendant une semaine les journaux belges fussent interdits en France. Les autorités, belges, françaises comme pontificales exigèrent des rapports.

Président la séance de clôture le 1er novembre, le liégeois d’Hoffschmidt n’avait pas tort d’imaginer que les étudiants français « devront peut-être à leur rentrée expier leur courage par bien des vexations et bien des misères ». Sept d’entre eux furent en effet à leur retour en France exclus de l’Université.

Quant aux étudiants belges, quelques-uns se virent supprimer la gratuité des cours. Mais, à défaut d’une fédération internationale des étudiants qui ne vit pas le jour, ils obtinrent quelques unes des réformes demandées : des laboratoires plus nombreux, l’enseignement de langues étrangères, de l’histoire contemporaine, de l’économie politique. Un nouveau congrès international fut convoqué en 1868 à Bruxelles, qui se limita effectivement aux questions d’enseignement.

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